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Réconciliation nationale ou élections, quelle option privilégier pour régler la crise en Libye?

Tripoli, Libye (PANA) - L'annonce d'une rencontre préparatoire en prélude à une conférence inclusive pour la réconciliation nationale en Libye en partenariat entre le Conseil présidentiel libyen et l'Union africaine (UA), a relancé le débat sur la priorité à suivre pour arriver à un réglement de la crise libyenne.

 

Il s'agit de savoir s'il faut privilégier l'option de la réconciliation nationale pour trouver une issue ou l'organisation des élections comme solution, d'autant plus que l'organisation panafricaine semble avoir une prédilection pour la réconciliation en vue de régler la situation dans ce pays d'Afrique du Nord alors que les pays occidentaux prône la priorité aux élections.

 

En effet, le président de la Commission de l'Union africaine (CUA), Moussa Faki, a indiqué que l'Union africaine est en train de tenir une réunion préliminaire pour préparer une conférence de réconciliation entre tous les Libyens sur leur terre.

 

Dans une déclaration à France 24, en marge du Sommet de la Francophone en Tunisie, M. Faki, a souligné la nécessité de trouver "une formule qui permette aux Libyens de se réconcilier puis d'aller aux élections pour choisir qui dirigera les affaires du pays".

 

Le patron de l'organisation panafricaine a expliqué qu'"il y a une nouvelle poussée pour un processus politique en Libye qui comprend plusieurs étapes", sans révéler quelles sont ces étapes.

 

Le 11 novembre, le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakoso, a annoncé que Brazzaville travaillait à l'organisation d'une conférence de réconciliation entre les Libyens à l'horizon de 2023.

 

En marge du Sommet de Charm el-Cheikh sur le changement climatique des Nations unies (COP27), M. Gakosso a confirmé à l'agence de presse russe "Spoutnik", qu'il "travaille à organiser une grande conférence de réconciliation libyenne l'année prochaine sous les auspices des cinq pays du Conseil de sécurité de l'ONU ".

 

Le diplomate congolais a ajouté qu'après la conférence des Nations Unies sur le changement climatique, il se rendra dans la capitale libyenne, Tripoli, pour s'entretenir avec toutes les parties au conflit en Libye sur la question.

 

L'Union africaine est engagée ces dernières années dans la recherche d'un règlement de la crise en Libye à travers le Haut comité de l'Union africaine sur la Libye, présidé par le Congo qui œuvre à l'organisation d'une conférence sur la réconciliation nationale libyenne en collaboration avec le Conseil présidentiel qui se penche actuellement sur l'élaboration d'une stratégie de réconciliation nationale. 

 

Une des composantes de l'Autorité exécutive mise en place par le Forum du dialogue politique libyen, aux côtés du gouvernement d'unité nationale, le Conseil présidentiel libyen est chargé, entre autres, missions, de la réalisation de la réconciliation nationale dans le pays.

 

Il a œuvré tout au long de la période écoulée à se pencher sur la formation d'un Haut-commissariat pour la réconciliation nationale chargé de la réalisation du projet de réconciliation en Libye, pays éprouvé par une décennie de chaos sécuritaire qui a provoqué une profonde fissure dans le tissu social d'une société fondée sur la tribu et où les rapports sociaux revêtent une importance primordiale en étant basés sur des codes sociaux spécifiques immuables reposant sur des traditions séculaires.

 

Des réunions de mise au point pour boucler le dossier du projet de réconciliation nationale ont été organisées au cours de ces derniers mois par le Conseil présidentiel, à travers des ateliers dans les universités avec la participation des universitaires des militants de la société civile pour réaliser l'appropriation par les Libyens de la vision stratégique qu'il a présenté le 23 juin.

 

La vision stratégique du projet de réconciliation nationale du Conseil présidentiel libyen porte notamment sur le traitement des racines du conflit, de l'identité nationale, du système de gouvernance, de la décentralisation et de la justice transitionnelle.

 

Cette stratégie qui a été mise en place par le Conseil présidentiel après avoir réussi à préparer la formule finale d'intégration et de modification des lois de justice transitionnelle, à élargir le cercle de la participation des élites et de la société, avec la participation d'un certain nombre d'experts, d'universitaires et de chercheurs, propose également cinq principes directeurs pour parvenir à la réconciliation, qui vise à s'attaquer aux racines du conflit, réaliser l'Etat de droit, l'égalité en droits et devoirs, et la citoyenneté, la priorité à l'intérêt public et l'intégration de tous les projets de réconciliation dans un seul cadre.

 

Le président du Conseil présidentiel, Mohamed Al-Manfi, a souligné lors du lancement de la stratégie qu'il est de leur responsabilité d'établir un véritable projet de réconciliation nationale globale qui réunit les Libyens et restaure leur tissu social, et pour qu'ils soient partenaires dans la gestion et la volonté, assurant qu'il n'y a pas d'échappatoire à la réconciliation nationale.

 

Il a insisté sur le fait qu'à travers cette vision, "nous nous sommes faits un devoir de jeter les bases d'une traversée vers des lendemains confiants, rassurants et radieux".

 

Pour l'analyste politique libyen, Mahmoud Al-Ghazali, "en dépit de ces initiatives du Conseil présidentiel qui sont très ponctuelles et d'une portée limitée, le projet de réconciliation nationale a pris un grand retard", estimant que "le Conseil présidentiel aurait dû accélérer la réalisation de ce dossier fondamental dans la reconstruction de la nouvelle Libye surtout pour un pays post-conflit armé qui doit nécessairement panser ses plaies et mettre en place une justice transitionnelle qui concédera les dommages et réparations nécessaires permettant d'envisager l'avenir avec plus de sérénité et d'optimisme en ayant tourné la page des rancunes et des velléités de vengeances".

 

Il explique, en effet, "l'échec des élections du 24 décembre par l'absence de progrès dans la réconciliation nationale", s'interrogeant "sur comment organiser un scrutin électoral dans un pays sortant d'une guerre fratricide, dont la dernière en date est celle de Tripoli en avril 2019 au cours de laquelle le pays a été, une nouvelle fois, divisé et les animosités accentués ainsi que les haines distillées entre les Libyens alors qu'aucune mesure n'a été prise pour traiter ces maux qui affectent les rapports entre les citoyens libyens".

 

Ainsi, M. Al-Ghazali lie toute réussite à régler la crise en Libye "par la combinaison entre réconciliation nationale et justice transitionnelle  pour concilier les Libyens entre eux afin de pouvoir envisager l'avenir en s'accordant sur des élections générales qui seront envisagées comme une saine émulation politique au cours de laquelle le peuple choisit ses dirigeants et exprime ses préférence et non une tentative d'établir un rapport de force entre eux pour de s'accaparer du pouvoir par les uns au détriment des autres en vue de leur élimination".

 

L'activiste politique libyen, Seif Al-Maghrebi trouve des justifications qui dédouanent le Conseil présidentiel libyen en évoquant "la complexité de la situation en Libye qui rend difficile le traitement du dossier de la réconciliation".

 

Selon lui, "la situation en Libye a des dimensions internationales avec les ingérences étrangères qui ont attisé la méfiance entre les belligérants et accru les tensions pour entretenir les divisions et servir leurs intérêts au détriment des Libyens avec une présence militaire étrangère accrue qui prend en gage le pouvoir décisionnel des Libyens et torpille toute tentative de trouver une issue libyo-libyenne".

 

Toutefois, M. Al-Magherbi  a souligné qu'"il est toujours temps de rattraper le retard accusé en œuvrant à la mise en place d'un projet de réconciliation nationale qui soit efficace et véritable pouvant unir de nouveau les Libyens que tout rapproche pour oublier les douleurs du passé et se tourner résolument vers l'avenir en tenant compte des générations futures auxquelles ils doivent léguer un pays viable, apaisé en préservant le ciment social et ses ressources aussi bien financières qu'environnementales, politiques et sociales afin de transmettre un héritage viable aux générations futures".  

 

Ainsi, il apparaît que la réconciliation bien que très capitale pour contribuer à parvenir à une solution de la crise en Libye, représente un processus très long qui doit être mûri pour assurer sa réussite.

 

Pour les tenants de la primauté des élections, ils avancent,  essentiellement, l'argument fondé sur le fait que la crise en Libye s'articule principalement sur la question de légitimité des institutions qui a alimenté le conflit tout au long de la décennie écoulée.

 

Outre, les Nations unies, les Etats-Unis et les pays européens, estiment que les élections constituent la clé de la solution en Libye, organisées sur la base d'un cadre juridique constitutionnel rigide et consensuel  permettant de tenir des scrutins transparents et équitables dont les résultats seront acceptés par tous.

 

C'est dans ce cadre que s'inscrit la mission du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Abdoulaye Bathily, à savoir relancer le processus électoral pour la tenue des élections le plus tôt possible.

 

Le chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), Abdoulaye Bathily, a indiqué, lors de son briefing devant le Conseil de sécurité, avoir perçu un large consensus sur le fait que les institutions libyennes sont confrontées à une grave crise de légitimité et que la restauration de cette légitimité à tous les niveaux est d'une importance capitale. 

 

Le responsable onusien a reconnu que "prolonger davantage la période intérimaire rendra le pays encore plus vulnérable à l’instabilité politique, économique et sécuritaire, et pourrait exposer le pays à un risque de partition", en allusion à l'idée privilégiant les élections au détriment de la formation d'un nouveau gouvernement.  

 

Il a donc appelé à unir les efforts pour encourager les dirigeants libyens à œuvrer résolument à la tenue d'élections dans les plus brefs délais. 

 

Bien que l'unanimité s'est faite parmi les membres du Conseil de sécurité sur l'importance des élections comme voie unique de trouver une solution à la crise libyenne, rejetant l'option militaire, les moyens pour parvenir à ces élections divergent entre ces pays.

 

Ainsi, deux positions principales ont émergé chez ces pays faisant table rase de la réconciliation nationale, articulées autour de la nécessité pour certains d'aller vers des élections après avoir convenu d'une base constitutionnelle consensuelle sans pour autant se soucier du règlement de la question du pouvoir exécutif avec l'existence de deux gouvernements rivaux.

 

La Libye demeure toujours en proie à une impasse de son processus politique depuis le report des élections de décembre dernier, aggravant la crise avec l'existence de deux gouvernements concurrents. Une situation qui a attisé la tension dans le pays avec des affrontements meurtriers entre les deux camps.

 

L'organisation des élections reste tributaire de l'adoption d'un cadre juridique au moment où les pourparlers entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat sur l'élaboration d'une base constitutionnelle pour la tenue des élections législatives et présidentielle ont échoué à parvenir à un consensus en raison des désaccords sur l'éligibilité des binationaux et des militaires.

 

Ainsi, il y a urgence à ce que les Nations unies, en particulier, le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU, Abdoulaye Bathily, de canaliser les priorités pouvant mener à une solution durable en évitant la multiplication des pistes : constitutionnelle, de la justice transitionnelle et la réconciliation nationale et des élections qui peuvent représenter des obstacles en créant une cacophonie de nature à perturber les efforts pour trouver une issue à la crise libyenne.

-0- PANA BY/IS 24nov2022