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La crise politique en Libye, débouchera-elle sur un ancrage de l'Etat de droit ou perpétuera-t-elle le chaos ambiant?

Tripoli, Libye (PANA) - La Libye traverse actuellement une de ses plus profondes crises politiques de gouvernance qui l'ont secouée depuis la révolution du 17 février 2011, suite à des manifestations de jeunes décriant la corruption, la gabegie au sommet de l'Etat, la détérioration des conditions de vie et l'absence de perspectives d'horizon de sortie du cercle de la violence ayant conduit à la suspension du ministre de l'Intérieur, Fathi Bachagha, une mesure ordinaire qui a accentué la tension politique dans le camp du gouvernement d'union nationale.

Cette situation a amené les observateurs de la scène politique en Libye à s'interroger sur l'issue de la tournure prise par la crise politique, se demandant si elle débouchera sur un ancrage de l'Etat de droit et des institutions pour lequel le camp du gouvernement d'union s'est battu afin de le préserver contre le projet de militarisation de l'Etat prôné par Haftar lors de son attaque contre Tripoli en avril 2019; Ou s'il s'agit d'un conflit de repositionnement et une lutte d'influence des différents acteurs politiques se battant pour une question de poste auquel cas, cela favorisera la poursuite du chaos et de l'indigence dans la gestion de l'Etat décriée par les Libyens.

Simple procédure administrative qui relève des compétences du Conseil présidentiel du gouvernement d'union nationale et de son président, Fayez al-Sarraj, de soumettre un de ses ministres à un questionnement procédural pour lui demander des comptes sur sa gestion, la suspension du ministre de l'Intérieur Fathi Bachagha, a donné lieu à un séisme qui a secoué la classe politique dans le pays et bouleversé l'agenda des différents protagonistes de la crise.

Tout a commencé avec des manifestations de jeunes Libyens lassés par les sacrifices consentis depuis des années et à consentir encore, avec les privations, le chômage, les pénuries à n'en pas finir et le manque d'accès aux services de base découlant de la mauvaise gestion et de la corruption des décideurs politiques.

Mahdi al-Zarroug analyste politique libyen a affirmé à la PANA que "le mouvement de protestation des jeunes s'il est considéré comme un réaction spontanée, légitime et attendue au regard des problèmes qu'on rencontré et rencontrent toujours les Libyens au cours de cette dernière décennies, d'aucuns pensent qu'il existe des tentatives de récupération et d'exploitation de ces protestations par certains courants et personnalités politiques pour en tirer profit et l'utiliser à des fins politiciennes afin de réaliser leur desseins en surfant sur la vague".

Il a précisé que "les communiqués contradictoires de Fathi Bachagha tantôt mettant en garde les manifestant contre le chaos et l'intrusion de certains hors-la-loi, à  encourager, d'autre part, les manifestants leur portant protection et en légitimant leur mouvement alors qu'il fait partie du gouvernement et que la moindre chose est d'être solidaire avec ses membres et le Conseil présidentiel pour trouver une solution permettant de surmonter la crise et de trouver une issue de nature à apaiser les tensions et à régler les problèmes de chômage, d'accès au services de base et d'éradiquer la corruption et la mauvaise gestion des deniers publics".

Si la suspension d'un ministre relève d'une procédure ordinaire d'autant plus que plusieurs autres ministres du gouvernement d'union nationale ont été suspendus et limogés, pourquoi cela pose-t-il problème avec Fathi Bachagha.

D'ailleurs, M. Bachagha a exprimé son intention de respecter la décision du Conseil présidentiel du gouvernement d'union nationale et de se présenter à l'enquête administrative, posant, toutefois, la condition qu'elle soit retransmise en direct par les médias.

Dans une déclaration à son arrivée à Tripoli, le ministre a expliqué les mesures disciplinaires à son encontre par son objection "aux mesures de sécurité prises par des parties armées non affiliées au ministère de l'Intérieur, et à l'abus contre la dignité du citoyen libyen qui en résulte, à la violation de ses droits et au bradage de son sang dans la répression, à l'intimidation et le silence" lors des manifestations. 

Pour l'activiste politique libyen Ibrahim Achour "c'est la personnalité de Fathi Bachagha et son poids sur la scène politique qui a donné à cette mesure administrative une dimension politique avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir", précisant que "Bachagha est un l'un des dirigeants en vue de la ville de Misrata, centre économique d'envergure avec son port maritime et ses brigades militaires aguerries dont la réputation est taillé dans du socle depuis la révolution du 17 févier et la résistance aux unités de Kadhafi".

Il a rappelé que "lors de son accession à la fonction du ministère de l'Intérieur alors qu'il était un député boycottant les réunions du Parlement siégeant à Tobrouk (est) , il a tenté d'introduire des réformes en prenant  des mesures audacieuses et la création de services de proximité avec les citoyens", soulignant qu'"il est connu pour ses sorties médiatiques et déclaration enflammées contre les milices et groupes armés reconnaissant l'existence de corruption dans son ministère".

Mais , selon M. Achour "Fathi Bachagha a empiété souvent sur les prérogatives des autres ministres et du Conseil présidentiel durant la guerre de Tripoli s'exprimant sur des questions de justice et même de la politique des affaires étrangères contre les ingérences en décidant de boycotter la France pour soutien à Haftar".

Il a ajouté que "cette audace lui a valu d'être considéré comme un ministre dynamique et de nouer des amitiés aussi bien avec les Etats-Unis, la France que la Turquie, l'Italie et la Grande Bretagne, devenant un ministre incontournable dans la gouvernement d'union nationale nourrissant de grandes ambitions nationales".

Son arrivée samedi à bord d'un avion à l'aéroport de Maitigua à Tripoli dans le cadre d'un accueil solennel et officiel des services du ministre de l'Intérieur avec un cortège de plus de 300 voitures dont des véhicules surmontés de canons anti-aériens dans un vacarme assourdissant de klaxons ayant perturbé la circulation dans la capitale libyenne, a soulevé un tollé chez de nombreux Libyens qui ont estimé qu'après tout il s'agit d'un ministre et avant tout un par les citoyens Libyens qui sont tous égaux devant la loi.

Walid al-Saadaoui , a écrit sur tweeter que "cette démonstration de force par les partisans de Bachagha est indécente", rappelant que "son prédécesseur originaire de Zaouia (ouest de Tripoli) a été limogé et pourtant les habitants de cette ville n'ont pas manifesté ni organisé des cortège de voitures pour monter leur biceps bien qu'ils possèdent des voitures et des groupes armés et de l'armement. Car il s'agit d'un fait naturel qu'un ministre soit limogé. Personne ne doit être au-dessus de la loi".

Participant à un forum sur Facebook débattant de la question de la suspension du ministre de l'Intérieur, Abdelwahab Issa a écrit que "Bachagha, après son arrivée à l'aéroport de Maitiga, a été transporté dans un énorme convoi composé de centaines de véhicules militaires lourds (...)et de milices de Misrata et Tajoura ...", se demandant "si cela indique-t-il qu'il est une personnalité démocratique? C'est un comportement de chef de gang qui veut contrôler Tripoli". 

Slah El Bakkoush, Commentateur politique libyen et ancien conseiller du Congrès général national (ex-CGN et du Haut Conseil d'État a tweeté que "la suspension du ministre de l'Intérieur par al-Sarraj, fait partie l'un de ses pouvoirs. C'est le cas partout dans le monde. Ce n'est pas le sujet sur lequel nous aspirons à être uniques", ajoutant que "cependant, les gens ont le droit d'exiger qu'al-Sarraj respecte sa promesse lundi de former un gouvernement basé sur la compétence. Ne pas le faire rapidement aura des répercussions dangereuses".

Le président du conseil présidentiel, Fayez al-Sarraj qui a multiplié ces derniers jours les réunions portant sur les décisions visant à remédier à la situation pour parer au chômage des jeunes et au pouvoir d'achat des foyers libyens, a expliqué auparavant, l'existence de problèmes au sein du Conseil présidentiel en raison des l'ambition de certains membres qui veulent des postes déterminés ce qui empêche d'opérer un remaniement du gouvernement afin de placer les compétents notamment dans les portefeuilles des services.

Il a déjà entamé en commençant avec la nomination du ministre de la Défende et d'un nouveau chef d'état-major de l'armée nationale libyenne fidèle au gouvernement d'union nationale, mettant en œuvre sa promesse d'opérer un remaniement gouvernement ce qui ne tardera pas à parachever dans les prochain jours.

Pour Abdelbasset al-Fitouri, professeur universitaire à Tripoli, "il est impératif que le camp du gouvernement d'union nationale se ressaisisse et surmonte cette crise en procédant avec tact avec le moindre dégât possible pour ne pas donner du grain à moudre à leurs adversaires".

M. al-Fitouri a souligné que "ce n'est pas parce que l'ennemi commun Haftar a été battu à Tripoli alors que les Libyens viennent juste de sortir de la guerre en faisant assumer à Haftar toutes les conséquences de son aventure désastreuse qu'on doit se livrer à ces querelles de second ordre qui ne constituent pas les principales préoccupations des Libyens, attachés à l'objet du gouvernement d'union nationale de bâtir un Etat de droit et des institutions fondé sur la démocratie et l'alternance pacifique au pouvoir".

Il a mis en garde "contre tout envenimement de la situation à Tripoli au sein du gouvernement car cela servira comme argument contre lui qui sera exploité par le camp adverse qui a déjà basé son attaque sur Tripoli sur la guerre contre les milices et le terrorisme à Tripoli en indiquant que l'Etat et l'otage de groupes armés qui contrôlent  le pouvoir dans la capitale".

Le professeur universitaire a rappelé que "ces argument ont réussi à emballer des pays qui ont été trompés et ont soutenu l'agression contre Tripoli alors que le gouvernement d'union doit veiller à assurer la stabilité et à démontrer qu'il ne s'agit que des accusations sans fondement avancées par Haftar pour prendre le pouvoir", ajoutant qu'"une solution rapide doit être trouvé pour régler cette question et permettre au gouvernement d'avancer vers le comblement des aspirations des Libyens". 

-0- PANA BY/TBM 30août2020