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Sommet de Brazzaville sur la Libye, une opportunité pour l'UA de se relancer dans le dossier libyen (Analyse)

Tripoli, Libye (PANA) - La tenue, ce jeudi à Brazzaville, au Congo, du 8ème Sommet des chefs d'Etat et de gouvernements des pays membres du Comité de haut niveau de l'Union africaine (UA) sur la Libye donne l'opportunité à l'organisation panafricaine de s'impliquer davantage dans le processus politique dans ce pays de l'Afrique du Nord.

L'Afrique, victime des velléités des acteurs majeurs, régionaux et internationaux impliqués dans le dossier libyen de l'écarter de la recherche d'une solution à la crise en Libye, subit pourtant de plein fouet les conséquences sécuritaires négatives de la situation qui prévaut en Libye.

La réunion de Brazzaville verra la participation des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, les pays voisins, les représentants des Nations unies et de l’Union africaine, ainsi que les représentants de la Communauté sahélo-saharienne, et plusieurs pays liés à la crise libyenne et diverses parties libyennes.

Le Comité de haut niveau des chefs d'Etat et de gouvernements de l'Union africaine sur la Libye est présidé par le Congo avec comme membres l'Afrique du Sud, l'Algérie, l'Egypte, l'Ethiopie, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et la Tunisie.

Cette réunion, qui se tiendra avant le 33ème Sommet de l'Union africaine, permettra de réaffirmer la position de l'Afrique, "qui aspire au dialogue entre les parties libyennes dans la recherche d'une solution au conflit avant tout processus électoral".

A l'issue de la rencontre, l'UA devrait avoir tiré tiré les leçons de la marginalisation subie dans le dossier libyen en prenant les dispositions nécessaires pour un nouvel élan afin d'imposer une vision africaine unifiée du règlement du conflit en Libye.

Le ministre congolais des Affaires étrangères,  Jean-Claude Gakosso, a souligné dernièrement lors d'une tournée en Afrique du Nord, "la gravité de la situation en Libye qui appelle une action urgente pour parvenir à une position unifiée pour les pays africains, les visions divergentes affaiblissant la position africaine".

Les enjeux en Libye, pays riche en ressources en hydrocarbures, sont multiples, entraînant des ingérences de grandes puissances mondiales et régionales motivées par la défense de leurs propres intérêts, rendant plus complexe la recherche d'une solution.

Cette volonté d'éloigner l'Union africaine remonte au début de la crise en 2011, date de la révolution du 17 février, concrétisée par une intervention militaire menée par l'OTAN, sans consultation, ni coordination avec l'Afrique.

C'est pourquoi depuis cette date, la prise de conscience s'est approfondie chez les dirigeants des pays membres de l'UA sur l'importance de la Libye et les répercussions de sa situation sur les autres pays.

Ainsi, divers mécanismes de concertations ont été crées par l'Union africaine, outre le Comité de haut niveau sur la Libye, les réunions des pays du voisins de la Libye , le Quartet regroupant, aux côtés de l'UA, les Nations unies, la Ligue arabe et l'Union européenne, en vue de discuter des moyens de trouver une solution politique dans ce pays.

C'est lors du 32ème Sommet ordinaire de l'Union africaine à Addis-Abeba en 2019 que l'organisation continentale a exigé de l'ONU qu'elle soit associée à tout processus de règlement sur la Libye et en adoptant une feuille de route portant sur un calendrier ayant trait à la tenue d'une Conférence inclusive sur la Libye et l'organisation d'élections générales.

La détérioration de la sécurité après l'offensive militaire du 4 avril sur Tripoli par le maréchal Khalifa Haftar a contré la stratégie de l'UA qui a été contrainte d'annuler les agendas de sa feuille de route.

Cette déconvenue a incité les pays occidentaux à faire obstacle à la nomination d'un Envoyé spécial conjoint entre l'ONU et l'UA avec l'opposition de la France et des Etats-Unis.

Grâce à la volonté du président congolais, Denis Sassou Nguesso, et son action à la tête du Comité de haut niveau de l'UA sur la Libye, l'Afrique n'a pas été écartée de la Conférence de Berlin avec l'invitation adressée à M. Sassou-Guesso et au président algérien, Abdelamjid Tabboune.

Cette rencontre a servi d'opportunité à l'Algérie, pays frontalier de la Libye, de prendre l'initiative d'une médiation sous la houlette de M. Tabboune.

Pour Abedessalmen al-Kouni, analyste politique spécialiste de l'Afrique "l'important, ce n'est pas dans la multiplication des initiatives, mais dans leur efficacité".

Il estime que "ces diverses médiations peuvent créer une certaine cacophonie et entraîner une émulation entre pays africains pouvant affaiblir la position du continent".

Il souligne "la nécessité de tirer les leçons des expériences passées et d'agir plus efficacement en canalisant tous les efforts de recherche du continent  pour une solution en Libye au sein de l'Union africaine, cadre adéquat pour les 53 pays membres afin de parler d'une seule voix".

Mohamed Ali Chouchan, professeur d'université libyen, rappelle que "les divisions des Européens sur le dossier de la Libye leur ont valu d'être supplantés par la Russie et la Turquie qui se sont imposés comme des acteurs clés en Libye,  après l'appel à une trêve le 12 janvier qui a été plus ou moins suivie malgré les violations".

Il explique "cette situation par les ingérences  des pays européens pris individuellement, notamment les tiraillements entre l'Italie et la France qui supportent chacune un camp en Libye au détriment d'un autre".

M. Chouchan estime que "l'Afrique a un énorme atout car à l'exception de l'Egypte qui aide Haftar , le continent n'est pas compromis dans le confit en cours en Libye. Une stature qui peut lui valoir de s'imposer en tant qu'interlocuteur crédible auprès de tous les belligérants libyens".

"Ce qui manque, c'est surtout c'est la volonté politique que les dirigeants africains doivent trouver pour s'approprier le dossier libyen et trouver la place naturelle qui leur revient, conformément aux ambitions de l'Union africaine", a souligné l'universitaire libyen.

Toujours dans le même registre, Marwan al-Msellati, activiste de la société civile en Libye, rappelle que "l'Afrique, notamment les pays du Sahel, sont en proie à l'insécurité et à l'essor du phénomène du terrorisme et des groupes djihadistes depuis le commencement des problèmes en Libye ".

Pour lui, "les attaques meurtrières dont sont victimes le Burkina Faso, le Tchad , le Mali et le Niger, le Cameroun et le Nigéria quasi quotidiennement, sont les répercussions directes du chaos en Libye, alimenté par la prolifération des armes et la faiblesse de l'Etat libyen et de ses structures en l'absence d'organes de sécurité et militaires".

De ce fait, il exhorte "les pays africains et l'Union africaine à davantage de Real Politik en s'inscrivant dans le dossier libyen et refusant de se laisser écarter, étant donné qu'ils subissent en premier le désordre en Libye".

Il faut que l'Union africaine se donne les moyens de son ambition en étant à la hauteur des défis qui s'imposent aujourd'hui au continent, selon les analystes qui suggèrent que le Sommet de Brazzaville élabore un plan d'action pour être adopté par le 33ème de l'UA en février prochain à Addis-Abeba, non pas en adoptant une nouvelle feuille de route, mais en s'impliquant profondément dans le processus qui est initié actuellement à Genève sur la Libye suite à la Conférence de Berlin.
-0- PANA BY/JSG/SOC 30jan2020