Agence Panafricaine d'information

Silence de la communauté internationale face aux crimes contre les civils en Libye (analyse)

Tripoli Libye (PANA) - Les affrontements entre l'armée nationale libyenne sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar, et les forces du gouvernement d'union nationale reconnu par la communauté internationale durent depuis deux semaines sans permettre à aucune des deux parties d'atteindre ses objectifs. 

Ces affrontements continuent cependant de faire des victimes, ainsi que des déplacés dont le nombre s'accroît quotidiennement, de bloquer la vie politique, tout en portant un terrible coup sur les infrastructures déjà fragiles. 

La guerre, déclenchée depuis le 4 avril dernier, a entraîné davantage de déchirures sur la cohésion du tissu social, rendu plus précaire l'unité nationale et anéanti les efforts déployés par les Nations unies pour la sécurité, la paix et la stabilité en Libye. Un communiqué de l'Organisation mondiale de la santé, publié ce vendredi sur sa page Twitter, a indiqué la hausse du nombre des personnes tuées à 213 parmi lesquelles figurent 18 civils et 1.009 blessés dont la majorité dans un état critique. Ce bilan est susceptible d'être revu à la hausse avec l'éclatement des combats.

Le quartier de Abou Slim, situé à 5 km au sud de Tripoli, considéré comme le plus populaire de la capitale, a essuyé des tirs de roquettes mardi soir, ont souligné les observateurs. Des affrontements violents opposent, en effet, depuis le 4 avril dernier, les forces du gouvernement d'union nationale dirigé par Fayez Sarraj et l'armée nationale libyenne sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar qui se disputent la capitale et la région Ouest du pays, rappelle-t-on. 

Le propriétaire d'une ferme dans la zone de ''Souani'' (25 km au sud-ouest de Tripoli), Mohamed Maïmouni, a annoncé dans un entretien téléphonique avec la PANA vendredi que son domicile et ceux de trois de ses frères ont subi des dégâts à cause des tirs anarchiques de roquettes. 

Il a toutefois précisé qu'il n'y pas eu de blessés car dès que les tirs commencent, lui et les membres de sa famille se réfugient au sous-sol de la maison. Il a révélé avoir été obligé d'envoyer son épouse, enceinte, et ses quatre enfants à la maison familiale à ''Janzour'' à 12 km à l'ouest de Tripoli pour les protéger des combats. 

A la question de savoir pourquoi rester sur place malgré les menaces qui pèsent sur lui, M. Maïmouni a répondu que ''toute famille qui abandonne sa maison, ne retrouvera rien à son retour à cause des pillages et des incendies'' qui sévissent dans la zone. ''La zone de Souani a enregistré mercredi et jeudi un calme précaire avant que de violents affrontements ne reprennent dans la nuit de jeudi à vendredi et nous avons entendu depuis le sous-sol de fortes explosions'', a encore dit Mohamed Maïmouni, indiquant que le fils d'un voisin a mortellement été atteint par des éclats d'une roquette qui a détruit une grande partie de la chambre dans laquelle il dormait. 

Le commandant de l'armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar, avait donné l'ordre, le 4 avril dernier, à ses troupes s'attaquer Tripoli et la région Ouest de la Libye où se trouve le siège du gouvernement d'union nationale reconnu par la communauté internationale et ce, moins de deux semaines avant la tenue de la conférence inclusive convoquée par l'Envoyé spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé, dans la ville de Ghadamès, à l'extrême Sud du pays pour se pencher sur la recherche d'une solution politique à la crise libyenne et arrêter la date des élections, rappelle-t-on. 

Deux semaines après le déclenchement des affrontements qui ont fait des victimes civiles suite à l'utilisation des armes lourdes et des roquettes de type Grad et d'autres types d'armes, ainsi que des bombardements aériens contre des quartiers populaires, des diplomates ont relevé l'échec du Conseil de sécurité des Nations Unies à harmoniser les positions de ses membres sur un projet de résolution destiné à mettre fin aux combats et à réunir les acteurs de la scène politique libyenne autour d'une table pour relancer le processus politique. A signaler, à cet égard, le rejet de la France des accusations sur son soutien à Khalifa Haftar, qualifiant ces accusations de ''totalement infondées''. ''Le gouvernement français soutient le gouvernement libyen légal dirigé par Fayez Sarraj et la médiation des Nations Unies pour trouver une solution à la crise libyenne'', note un communiqué de l'Elysée publié par les médias français. 

Le ministre libyen de l'Intérieur, Fathi Bach Agha, avait décidé de suspendre la coopération sécuritaire avec la France, à la suite du soutien présumé de la France en faveur de Khalifa Haftar, rappelle-t-on. 

Des observateurs mettent en garde contre des tueries de civils si d'aventure les forces de Haftar se lançaient dans une opération pour s'emparer de Tripoli qui abrite les deux tiers de la population libyenne, soit 2,5 millions de personnes, si on prend en compte les migrants et les déplacés venus de toutes les régions pour se réfugier dans la capitale depuis l'insurrection populaire de 2011. 

Le défenseur des droits de l'homme libyen, Massoud Al Arabi, a affirmé à la PANA que ''le risque de tueries au sein des populations civiles est réel avec l'approche des combats des quartiers populaires''. ''Qui portera la responsabilité du bain de sang à Tripoli et sa banlieue à cause de cette guerre dont le motif principal est lié à la soif du pouvoir, de l'argent et des intérêts personnels'', s'est-il demandé. 

La campagne militaire lancée par le Maréchal Haftar contre Tripoli et la région Ouest du pays a enregistré des développements rapides sur le terrain avec l'attaque perpétrée par un groupe contre la base de ''Tamanhant'', près de Sebha (800 km au sud de Tripoli), contrôlée par les forces de Haftar.

Le porte-parole de l'armée nationale libyenne, le commandant Ahmed Mismeri, a accusé les troupes de Ibrahim Jadran, ex-responsable des gardiens des champs pétrolifères et qui fait l'objet d'une plainte internationale et des mercenaires tchadiens d'être à l'origine de cette attaque.

Sur le même registre, des avions de combat ont bombardé jeudi la ville de Haoun, dans la région de Joufra (650 km au Sud-Est de Tripoli), considérée comme la principale base arrière de l'armée nationale libyenne du maréchal Haftar. Le spécialiste et chercheur dans le domaine militaire, le colonel à la retraite, Romdhane Chatti, a estimé que l'opération ''volcan de la colère'' lancée par le Conseil présidentiel pour faire face à l'attaque de l'armée nationale libyenne contre Tripoli, ''commence à s'attaquer aux lignes-arrière des forces de Haftar afin de les diviser pour viser des objectifs dans le Sud et le Sud-Est de la Libye''. 

Pour le colonel Chatti, les forces de Haftar sont très inquiètes du manque de carburant suite aux bombardements menés par les forces de la ville de Misratah contre les camions en provenance de Joufra pour ravitailler l'armée de Haftar. A cet égard, le conseil municipal de Tarhouna (120 km au sud de Tripoli) dont les milices ont noué des alliances avec l'armée nationale libyenne, a indiqué que la ville commence à souffrir d'un manque aigu d'essence et de gas-oil, entraînant la fermeture de toutes les stations-service et le blocage du fonctionnement des services à l'intérieur de la municipalité. 

Le directeur du bureau de communication de la municipalité, Mohamed Saïd, a signalé à la presse l'embouteillage dans les stations-service de la ville. La Libye est plongée dans l'anarchie et dans l'insécurité depuis la chute en 2011 du régime du Colonel Mouammar Kadhafi. Depuis lors, des combats font rage entre plusieurs factions qui sont motivées par le pouvoir et l'argent dans ce pays riche en pétrole et en gaz. Les affrontements les plus graves ont été enregistrés en 2011, entraînant la destitution du régime de Kadhafi et son assassinat en octobre de la même année après l'intervention de l'OTAN, rappelle-t-on. 

Mais, pour les observateurs, les affrontements en cours aux abords de Tripoli restent les plus dangereux, à cause de l'intervention des forces régionales et internationales qui ravitaillent les deux parties en armes et en conseillers dans le domaine des renseignements et ce, en dépit de l'embargo décrété par les Nations unies sur les armes en Libye, déplorant le silence de la communauté internationale face aux crimes de guerre contre les civils. 

-0- PANA AD/IN/SOC 19avril2019