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Nouvelle impasse dans les perspectives d'une solution politique en Libye après le départ de Ghassan Salamé

Tripoli, Libye (PANA) - Une semaine après la démission du Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Libye, Ghassan Salamé, le pays semble s'engouffrer dans une nouvelle impasse, au regard de la suspension sine die, du processus politique visant à trouver un règlement, avec l'arrêt des pourparlers inter-libyens des trois volets relatifs au politique, au militaire et à l'économie supervisés par es Nations unies.

Rien n'a encore filtré sur la nature de l'alternative que pourrait envisager le Secrétaire général des Nations unies pour combler le départ de son émissaire libanais, à part la certitude de l'acceptation de cette démission et sa volonté d'opérer une transition en douceur, garantissant la préservation des acquis réalisés jusque-là sur la voie d'une solution politique.  

C'est un black-out total sur la scène politique en Libye où un lourd silence règne telle une chape de plomb ou une longue traversée du désert pour le processus politique, dont le sort semble être à chaque fois remis à la case  départ, après avoir atteint des étapes avancées d'un règlement.

Mais comme dans le Mythe de Sisyphe d'Albert Camus , il ne faut pas désespérer que la situation en Libye connaisse un dégel avec de nouvelles perspectives de sortie de crise, en raison de l'impact grandissant de l'étirement de la crise en Libye sur les pays du voisinage, et au-delà pour le monde entier.

Pour l'instant, c'est le risque  d'intensification de l'escalade militaire qui prévaut dans le pays, notamment à Tripoli, où la fragile trêve du 12 janvier est mise à  rude épreuve quotidiennement avec de nouvelles violations via des tirs de roquettes et missiles Grad sur des quartiers d'habitation,  contraignant encore un groupe de citoyens à quitter leurs foyers.

C'est le cas pour le quartier à proximité de l'aéroport de Maitigua, banlieue-est de Tripoli, régulièrement bombardé par des forces de l'armée nationale libyenne dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, qui soupçonne son usage pour le décollage de drones, ce que le Gouvernement d'union nationale, reconnu par la communauté internationale, dément formellement.

Depuis l'offensive militaire lancée le 4 avril dernier par les forces du maréchal Haftar contre Tripoli, le bilan annoncé début janvier 2020 par l'ONU fait état d'au moins 2.000 combattants et 280 civils tués et plus 146.000 déplacés des zones d'affrontements armés.

Pour Mustapha Slah al-Mreiyah, un expert libyen en stratégie militaire, "les tirs actuels d'obus en violation de la trêve et les réactions de chaque camp à ce qu'il considère comme une violation de l'autre, peuvent de fil en aiguille conduire à un embrasement et attiser la tension militaire pour déboucher sur des affrontements systématiques de grande envergure".

Selon lui, "ce scénario n'est pas à écarter dans le contexte d'une absence de nouveaux horizons pour un règlement politique de la crise", ajoutant que "c'est toujours l'impasse politique et les blocages des négociations qui conduisent aux escalades militaires et font privilégier la guerre comme issue, bien que jusqu'à présent, rien n'est venu attester la possibilité que l'un des deux camps prenne l'avantage militaire décisif au détriment de l'autre".

Jumaa Taher al-Hmidi, cadre dans un administration publique à Tripoli, n'épouse pas totalement les arguments avancés par M. al-Mreiyah concernant les risques de débordements des combats pour revenir à la case départ, bien qu'il concède que "les risques sont réels en cas de pourrissement de la situation et de la persistance de l'impasse politique".

M. al-Hmidi a souligné que "les deux belligérants n'ont pas l'intention de pousser l'escalade militaire  plus loin que des tirs d'obus qui sont préjudiciables aux civils qui en payent un lourd tribut", ajoutant que "cette trêve est de loin la plus longue qui a été acceptée par les deux parties à l'appel des Présidents Erdogan et Poutine, étant donné qu'elle s'approche de son troisième mois d'affilée sans que des affrontements majeurs aient été notés sur les différents fronts en Libye".

Il a expliqué "cet état par la lassitude des acteurs au confit de la guerre et le lourd bilan des affrontements, malgré les préparatifs et les efforts de mobilisation et d'acquisition d'armement par chaque camp".

Ainsi, seul le prolongement de l'impasse pourrait changer la donne et pousser les belligérants, en désespoir de cause, à l'escalade militaire.

A noter que le processus de dialogue inter-libyen supervisé par la Mission d'Appui des Nations unies en Libye (UNSMIL), relatif à trois volets, a permis une grande avancée sur la piste économique avec la formation de trois commissions chargées d'étudier les questions urgentes et de laisser en suspens les questions problématiques jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale.

Au niveau politique, les pourparlers ont connu un début chaotique avec la suspension de la participation des deux Assemblées et la présence de 20 des 40 personnalités invitées lors du premier round à Genève destiné à trouver une issue politique aux problèmes dans le pays.

Les discussions sur les questions militaires ont été marquées par une absence de progrès, à part le maintien de la fragile trêve, ce qui a poussé l'UNSMIL à proposer un projet d'accord de cessez-le-feu qui devrait être discuté avec les dirigeants de chaque camp pour ensuite le finaliser.

Face à l'impasse du processus de recherche d'une solution à la crise, certains Libyens ont exhorté la Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général de l'ONU pour les affaires politiques , Stéphanie Williams, à poursuivre le travail entamé par M. Salamé.

C'est ainsi que des personnalités libyennes de divers horizons et villes du pays dont un ambassadeur et deux vice-ministres ainsi que des universitaires, ont appelé, Stephanie Williams, à poursuivre le dialogue politique, économique, militaire et sécuritaire, en vue de trouver une solution à la crise libyenne.

Ils ont annoncé leur soutien "illimité" au processus politique, demandant à Williams "d'inclure des représentants de divers segments de la société libyenne, en particulier les jeunes, ainsi que des représentants des forces de combat non militaires, et d'utiliser les moyens de pression disponibles contre les parties qui cherchent à établir le principe de la solution militaire, outre la nécessité de mettre en œuvre les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité en Libye, dont la dernière est la Résolution n ° 2510 concernant l'adoption des résultats de la Conférence de Berlin".

Le communiqué propose "la mise en œuvre du projet d'accord dans le cadre des pourparlers militaires en appliquant des règles du droit international relatives aux zones démilitarisées, et aux règles de désengagement pour ramener la vie normale des résidents de ces zones".

Les signataires du document ont également appelé Mme Williams à effectuer des audits des institutions financières à l'est et à l'ouest du pays, déclarant leur refus "d'utiliser la fermeture du pétrole comme outil politique ou d'utiliser ces installations pour gérer des actions militaires ou paramilitaires".

Le document a souligné que le sens de la  responsabilité impose à la Mission onusienne de poursuivre la supervision du dialogue, tout en informant le peuple libyen "des noms de ceux qui font obstacle ou qui placent leurs intérêts personnels au-dessus des intérêts des Libyens", soulignant que la poursuite de ces pistes "éloigne le spectre de la guerre et de la destruction de notre pays, et empêche l'intervention militaire étrangère représentée par des entités et des sociétés étrangères bien connues et des puissances régionales".

Au niveau international, le sommet jeudi dernier à Moscou entre les Présidents russe, Vladmir Poutine et turc, Recep Tayyip Erdogan , parrains de la trêve proclamée le 12 janvier en Libye, n'a pas évoqué la situation en Libye car il a été dominé par le conflit syrien ayant abouti à un cessez-le feu dans la province Idleb.

Toutefois, la position dominante chez les pays intéressés par la crise en Libye , ayant participé à la Conférence de Berlin le 19 janvier, porte sur la mise en œuvre des recommandations de cette rencontre qui ont été entérinées par une résolution du Conseil de sécurité.

Pour l'analyste politique libyen , Bassam Abdelhamid al-Gmatti, "tout succès pour le règlement de la crise appartient aux parties libyennes qui sont censées s'entendre pour résoudre la crise dans le pays, ainsi qu'à la communauté internationale, qui interfère dans la crise libyenne", ajoutant "penser que ces deux facteurs sont à la base du succès de tout nouvel envoyé de l'ONU en Libye et s'ils ne sont pas réalisés, alors tous les efforts seront voués à l'échec".

Evoquant le processus mené par les Nations unies, il a ajouté que "le prochain envoyé spécial du Secrétaire général devrait réévaluer ces trois pistes (économique, politique et militaire). Il n'est pas possible de parler de voies séparées ou différentes pour régler la crise libyenne. La transparence au niveau de la piste politique et la divulgation de la liste des participants à la piste économique et la création d'une sorte d'équilibre en son sein sont nécessaires".

Il a signalé qu'"il est important que toutes les pistes conduisent à la voie constitutionnelle pour parvenir à la fin à un accord sur une Constitution permanente et à la tenue d'élections présidentielle et parlementaires".

-0- PANA BY/JSG/SOC 09mar2020