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Libye : Un diplomate américain estime que la saisie du dinar imprimé en Russie permettrait de réformer l'économie de la guerre

Tripoli, Libye (PANA) - L'ancien envoyé spécial des Etats-unis en Libye, Jonathan Winer, a estimé que la saisie par les autorités maltaises des chargements de dinars libyens imprimés récemment en Russie "est une opportunité pour réformer l'économie de la guerre civile en Libye" et peut aider le gouvernement à imposer son autorité et à faire face à l'attaque lancée par le maréchal Khalifa Haftar,le 4 avril dernier, pour prendre le contrôle de Tripoli.

La saisie par Malte, le 1er novembre, de deux conteneurs pleins de la monnaie libyenne imprimée par une société gouvernementale russe destinée au gouvernement provisoire non reconnu par la Communauté internationale installé dans l'Est de la Libye "donne une idée claire sur l'importance des aspects économiques de la guerre continue en Libye ", a notamment dit M. Winer cité par le journal libyen en ligne paraissant au Caire "El Wassat".

Selon le diplomate américain, la Libye vit depuis la formation du gouvernement d'entente nationale en 2015 "une division continue entre l'autorité reconnue par la Communauté internationale installée à Tripoli et les forces de l'Est dirigées par un dictateur potentiel en la personne de Khalifa Haftar; son groupe issu de l'ancienne armée nationale, des milices, des mercenaires et des forces étrangères sont nommés les forces armées arabes libyennes".

Durant tout ce temps, "les salaires des forces du maréchal et de nombreuses autres forces de l'Ouest étaient payées par la Banque centrale libyenne grâce aux recettes tirées de la vente du pétrole. Chaque partie du conflit a aussi tiré des revenus supplémentaires d'autres sources dont des actes de chantage et du trafic du carburant et d'etres humains", a précisé Jonathan Winer. Pour lui, "les chargements de dinars alternatifs continus en provenance de la Russie et destinés à Haftar et à la section de la Banque centrale de l'Est, ont permis à ces autorités (de l'Est) installées dans la ville de Beida de boucler leur budget et ainsi se passer des négociations politiques sérieuses avec le gouvernement d'entente nationale ".

Ces sources de financement "sont devenues un moyen de financer la guerre lancée par le maréchal Haftar contre Tripoli", a soutenu le diplomate américain, indiquant que "les autorités libyennes installées à l'Est avaient reconnu que la Russie a mis à leur disposition 10 milliards de dinars libyens entre 2016 et 2018 ou environ 4 milliards par an".

L'ancien envoyé des États-unis en Libye a signalé que des informations douanières russes ont indiqué que la Russie a livré à la Banque centrale installée à Benghazi 4,5 milliards de dinars en billets imprimés avec une légère mais visible différence avec la monnaie libyenne officielle imprimée en Grande Bretagne entre février et juin derniers.

Ce chiffre représente "plus du double de l'aide apportée annuellement par la Russie auparavant", a-t-il soutenu, affirmant que les 4,5 milliards ont été livrés au maréchal Haftar, quelque temps seulement avant la campagne militaire lancée par ce dernier contre Tripoli et qui est entrée dans son huitième mois.

M. Winer a rappelé que Malte a indiqué avoir saisi les chargements sur la base des résolutions des Nations unies relatives à la Libye qui ne reconnaissent que le gouvernement d'entente nationale installé dans la capitale. Il a toutefois déploré le fait que ni le président du Conseil du gouvernement d'entente nationale, Fayez Sarraj, ni le Gouverneur de la Banque centrale de Tripoli, Sadiq al-Kabir, n'ont fait aucune communication pour informer sur l'illégalité du dinar imprimé en Russie et ce, malgré la thèse soutenue par des observateurs sur la crise de liquidités qu'une telle annonce aurait suscitée dans l'Est, ce qui entraînerait des troubles tribales dans le pays.

Le diplomate a fait remarquer que la saisie des dinars imprimés en Russie par Malte intervient au moment où des préparatifs sont en cours pour tenir une conférence internationale à Berlin, en Allemagne, sur la Libye, visant "à ouvrir des négociations sur les solutions possibles à la guerre civile qui s'est accrue depuis l'attaque en avril du maréchal Haftar contre Tripoli. 

La conférence initiée par l'Allemagne est bloquée par le refus des Libyens ou leurs parrains (Turquie pour le gouvernement d'entente, Égypte, Émirats arabes unis et Russie pour les forces de Haftar) de s'accorder sur deux objectifs principaux : acceptation d'un cessez-le-feu immédiat et l'application de l'embargo sur les armes imposé par les Nations unies et accepté, sur le principe, par ces pays et d'autres qui, dans la réalité les ignorent royalement".

Selon lui, "l'acceptation par ces pays de l'arrêt des combats et de la fourniture des armes aux belligérants sont des conditions préalables nécessaires pour les Libyens avant la tenue de la conférence. Mais le règlement de la circulation des armes en Libye, malgré qu'elle soit nécessaire, n'est pas suffisante pour assurer l'organisation de négociations politiques significatives dès lors que les deux belligérants disposent de moyens pour financer la guerre ".

Même s'il est impossible de convaincre la Russie d'arrêter de fournir à Haftar et aux autorités de l'Est une monnaie illégale qui ne fait toujours pas l'objet d'interdiction, le diplomate américain estime tout de même que "les autorités libyennes disposent de moyens pour imposer leur autorité et contraindre l'attaque de Haftar qui s'est d'ailleurs embourbée présentement".

Plus clairement, M. Winer a précisé que Sarraj et Al-Kabir "sont en mesure d'annoncer l'illégalité et la non convertibilité du dinar imprimé en Russie à partir par exemple du 1er janvier 2020 et qu'il ne sera plus accepté par la Banque centrale libyenne ".

Pour éviter une crise de liquidités dans l'Est et dans toutes les parties du pays, le diplomate américain a suggéré que "la Banque centrale libyenne imprime des milliards de dinars par la société britannique habilitée pour les échanger, à valeur égale, avec les dinars imprimés en Russie en circulation dans le pays avant la fin de la date limite préablement arrêtée, mais susceptible de brève prolongation".

Cette démarche permettra au gouvernement d'entente nationale et à la Banque centrale de maîtriser la monnaie et la souveraineté économique, tout en permettant aux Libyens, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, d'obtenir le montant dont ils ont besoin pour mener leur vie normalement, a dit Jonathan Winer, ajoutant que la démarche "est susceptible de priver le maréchal Khalifa Haftar d'une source décisive pour financer depuis l'étranger le budget qu'il utilise pour continuer le blocus contre Tripoli ".

"L'interdiction du dinar imprimé en Russie facilitera le regroupement de tous les belligérants autour de la table des négociations diplomatiques et la tenue de la conférence de Berlin et peut être de progrès dans la sécurisation du cessez-le-feu comme préalable à des négociations plus durables ", a-t-il dit.

Pour obtenir un soutien international pour appliquer l'interdiction du dinar imprimé en Russie, le gouvernement d'entente nationale et la Banque centrale "doivent mener des réformes économiques y compris le remplacement des subventions du carburant par des paiements directs aux citoyens", a soutenu l'ancien envoyé spécial des États-unis en Libye, ajoutant que les subventions actuelles du carburant sont plus importantes que les sommes investies dans les secteurs de l'éducation et des infrastructures.

"Cette réforme fondamentale qui est susceptible de contraindre le trafic croissant du carburant par des criminels, a régulièrement connu des blocages", a-t-il affirmé, précisant qu'"il existe un moyen simple pour appliquer la réforme. Il s'agit, selon lui, de permettre à la Compagnie nationale de Pétrole d'utiliser les capitaux prévus pour les subventions du carburant pour payer les Libyens dotés de cartes d'identité nationale".

Cette réforme aura trois avantages : "arrêter les pertes dues aux trafics, assurer que les subventions bénéficient aux Libyens et montrer aux Libyens l'importance de l'existence d'un gouvernement qui respecte ses engagements en leur donnant des avantages tirés des richesses qui leur appartiennent ".

Cette démarche "aidera aussi le gouvernement d'entente nationale dans ses prochaines négociations politiques pour unifier le pays, pour la répartition des richesses au bénéfice de toutes les régions et pour remplacer les milices par des institutions militaires et policières professionnelles unifiées dont le pays a besoin pour assurer sa sécurité et sa stabilité de manière durable ", a conclu le diplomate américain.

-0- PANA AD/IN/BEH/SOC 8nov2019