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Les perspectives d'une issue à la crise politique libyenne s'amoindrissent avec la complication de la situation en Libye

Tripoli, Libye (PANA) - La crise politico-militaire qui a marqué la scène en Libye, durant la décennie écoulée, et s'est aggravée depuis le report des élections de décembre dernier, débouchant sur un exécutif à deux têtes avec deux gouvernements rivaux, ramenant le pays à la phase des divisions des institutions de l'Etat, ne semble pas laisser apercevoir de sitôt le bout du tunnel en l'absence de perspectives pour une solution à court ou à moyen terme, en raison des complications se greffant sur la situation découlant des escalades des parties au conflit.

 

L'ancrage de la division du pays se manifeste chaque jour un peu plus à travers les agissements des deux gouvernements en présence dont chacun œuvre à s'affirmer en revendiquant la légitimité.

 

Le gouvernement désigné par le Parlement après avoir pris les sièges gouvernementaux à Benghazi (Est) et Sebha (Sud) a choisi de s'installer à Syrte (Centre), selon l'annonce faite, mercredi, par le Premier ministre, Fathi Bachagha, une situation ramenant le pays à un Etat bicéphale.

 

Pour sa part, le gouvernement d'unité nationale installé dans la capitale Tripoli, continue à gérer les affaires du pays, sans tenir compte de l'existence de son rival, à travers l'application des programmes du gouvernement notamment le plan de "Retour à la vie" avec la réalisation des projets d'infrastructures de base et de service mis en place par le Premier ministre, Abdelhamid Al-Dbaiba.

 

Il poursuit également les efforts pour mettre en œuvre son initiative politique concernant l'organisation des élections et un référendum sur la Constitution en juin prochain pour "Rendre la confiance au peule", réitérant que seules les élections peuvent servir de bouée de sauvetage pour le pays et le sortir de la crise.

 

Cette situation n'a fait qu'aggraver la crise de l'exécutif dans le pays avec des développements qui démontrent l'arrivée à une impasse et le début de l'escalade via des actions visant à faire pression via des obstacles à l'autre en marquant des points au détriment de l'adversaire.

 

Ainsi, le blocus dans le secteur pétrolier avec une vague de fermeture de sites pétroliers de production et d'exportation par des manifestants réclamant la passation du pouvoir en faveur du gouvernement désigné par le Parlement, un domaine vital d'où l'Etat tire ses principaux revenus, a entraîné des pertes quotidiennes de quantités de production estimées à la moitié de la production total, soit 600.000 barils par jour pour un manque à gagner évalué à 60 millions de dollars par jour.

 

En effet, le contexte est favorable pour profiter de l'envolée des prix afin d'engranger des bénéfices substantiels et réaliser des revenus records pour combler les pertes passée et relancer l'économie et améliorer le pouvoir d'achat et les conditions de vie des Libyens qui ont tant souffert durant la décennie passée soumis à des privations et vivant des crises de pénuries successives avec une montée de paupérisation visible qui a été accentuée, notamment par le taux de change du dinar libyen qui est très dévalué quittant un taux de 1 dollar pour 1,39 à 1 dollar pour 4,76 aujourd'hui, grignotant le pouvoir d'achat des Libyens.

 

Le seul bémol est le refus de l'armée et des groupes armés dans l'Ouest du pays d'où sont issus les deux Premiers ministres d'être utilisés dans des affrontements politiques entre les deux gouvernements.

 

A cet égard, le chef d'état-major général de l'armée loyale au gouvernement d'unité nationale, le général Mohamed Al-Haddad, a affirmé que l'institution militaire se distancie de toutes les interactions et l'imposition du fait accompli, assurant qu'elle ne permettra pas qu'elle soit exploitée ainsi que les groupes armés pour réaliser des projets et accéder à des postes.

 

Le général Al-Haddad a ajouté que "la Libye est en danger, et nous devons ressentir cette responsabilité et les circonstances qu'elle traverse et que le citoyen libyen a atteintes".

 

Il a ajouté qu'"au cours des derniers mois depuis l'entrée en vigueur du gouvernement d'unité, nous avons connu une certaine stabilité, et nous devons la maintenir jusqu'à ce qu'un véritable changement soit atteint par le biais d'élections".

 

Même son de cloche chez de nombreux groupes armés qui ont refusé d'être utilisés dans le conflit entre les deux gouvernements, exhortant les deux Premiers ministres, MM. Al-Dbaiba et Bachagha à s'engager à cantonner leur différend dans un strict cadre politique.

 

La seule fausse note vient des représentants de l'Est pour l'armée nationale libyenne dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, au sein de la Commission militaire mixte 5+5 composée à parité d'officiers supérieurs des deux camps au conflit qui est à l'origine du cessez-le feu signé en 2020 ayant contribué à la stabilité de la Libye, en annonçant la suspension de leurs travaux et en lançant des accusations contre le Premier ministre, Abdelhamid Al-Dbaida lui demandant de procéder à la passation du pouvoir au nouveau gouvernement, dans une preuve déviation manifeste de son cadre technique et de l'ingérence dans les considérations politiques.

 

Pour asseoir leur influence et asseoir sa légitimité chacun des deux gouvernements cherche des alliances régionales avec une nouvelle reconfiguration des alliances après leur quasi disparition au terme du consensus libyo-libyen qui avait abouti à l'institution d'une nouvelle transition en 2021 sur la base d'une feuille de rote adoptée par le Forum du dialogue politique libyen sous les auspices des Nations unies.

 

C'est ainsi que depuis l'apparition des deux gouvernements, les puissances régionales se sont alignées sur l'échiquier politique libyen à l'instar de l'Algérie qui a tranché en faveur du gouvernement d'unité ainsi que la Turquie qui a maintenu sa position et les Emirats arabes qui a effectué un revirement, selon des sources bien informées abandonnant son allié traditionnel pour soutenir le gouvernement à l'Ouest tandis que l'Egypte  et l'Arabie saoudite sont demeurés auprès de leurs soutiens à l'Est.

 

Cette configuration augure du retour des ingérences étrangères et par conséquent, la complexification du dossier libyen qui fait un come back dans la sphère internationale alors que le consensus entre Libyens avait permis d'avancer rapidement en ramenant le pays dans le bons sens en lui faisant retrouver un début d'unification des institutions de l'Etat, de stabilité et de paix ainsi que de réactivation du processus de réconciliation nationale quoique timidement.

 

Mais c'est la lutte pour le pouvoir et les calculs étroits de certaines personnalités politiques libyennes qui prennent en otage le pays depuis plus de dix ans en servant leurs propres intérêts pour demeurer aux commandes du pays en s'attachant à leurs privilèges au détriment de l'intérêt collectif qui a fait entrer le pays dans une nouvelle crise le ramenant dans la spirale des tiraillements politiques partisans après l'accalmie qui avait fait naître des espoirs pour voir le pays arriver à bon port.

 

Le Parlement et le Haut Conseil d'Etat pour, ce dernier, qui se trouve depuis plus dix ans en activité, a dépassé largement son mandat à l'image du second qui a dépassé la durée de son mandat en faisant sept années d'affilées au lieu des 18 mois initialement prévus à son élection en 2014.

 

Ainsi, le processus qu'ils ont lancé au début de l'année 2022 portant sur une transition de 14 mois, sonne comme une tentative d'un arrangement visait à se maintenir en prolongeant leurs mandats.

 

C'est pourquoi, ce projet s'est retrouvé rapidement dans une impasse avec le reniement par le Haut Conseil d'Etat de son consentement en votant contre l'amendement constitutionnel et la nomination d'un nouveau gouvernement.

 

Les élections sur lesquels tous les libyens fondaient les espoirs pour sortir le pays de la crise et le doter des institutions pérennes ancrant la démocratie et l'Etat de droit ont été torpillées par l'adoption par le Parlement de lois électorales biaisées comportant des calculs partisans et taillés sur mesures pour assurer l'arrivée de certaines personnalités déterminées au pouvoir.

 

Malgré les mises en garde et les oppositions manifestées contre ces lois et les dénonciations de leur caractère unilatérale, la persistance du Parlement dirigée d'une main de fer par son président, Aguila Saleh, et son entêtement contre vents et marées jusqu'à attendre les limites par l'engagement du pays dans une nouvelle crise politique.

 

En effet, ce cheminement a conduit directement vers l'impossibilité d'organiser les élections du 24 décembre et à leur report pour des considérations liées aux conditions politiques, à l'insécurité et aux recours judiciaires contre les candidats inhérents aux lacunes des lois électorales. 

 

Ne dérogeant pas à la règle encore une nouvelle fois, le Parlement libyen a traité la crise du processus électoral avec les mêmes méthodes motivées par les calculs étroits, selon des observateurs de la scène libyenne, pour servir des intérêts particuliers en nommant un nouveau gouvernement au lieu de s'atteler sur la relance du processus électoral pour faire en sorte que des élections soient organisées le plus rapidement possible conformément aux aspirations de près de 3 millions de Libyens qui se sont inscrits sur le registre électoral et dont plus de 2,5 millions ont retiré leurs cartes d'électeurs en prévision du scrutin électoral pour choisir leurs dirigeants afin de présider aux destinées du pays.

 

Cette situation de blocage a ramené au devant de la scène, les désaccords entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat suscitant l'intervention des Nations unies avec l'initiative de la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams qui mène une médiation entre les deux Conseils via une commission mixte pour élaborer une base constitutionnelle destinée aux élections.

 

Un second round est prévue mi-mai courant au Caire en Egypte, mais dont les résultats ne sont pas garantis car le premier round de consultations s'est terminé en catimini, deux jours avant la date initiale, dévoilant des imprévus survenus en dernières minutes notamment une absence de progrès alors que le plus clair du temps a été consacré aux dispositions procédurales des réunions et les méthodes de travail.

 

En outre, la responsable onusienne avait proposé au départ deux semaines pour élaborer une base constitutionnelle mais, il semble que ce délai sera difficile, à respecter à cause des divergences au sein des membres de la commission mixte entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat.

 

Autre problème de taille qui se pose dans la crie libyenne, c'est qu'il n'y a pas de perspectives d'un règlement de la question de l'exécutif chacun des deux Premiers ministres a proposé un dialogue national pour trouver une issue à sa manière comme dans un dialogue de sourds.

 

Le Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha, a proposé un dialogue auquel seront associés toutes les parties sans exclusion pour trouver une solution à la crise.

 

Auparavant, le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaiba a formé un Comité formé des personnalités indépendantes de toutes les régions, chargé de lancer de larges consultations sur l'adoption d'une loi électorale en vue de la tenue des élections dans le cadre de son initiative "Rendre la confiance au peuple".

 

Toutefois, la question qui se pose demeure comment va finir ce face à face entre les deux gouvernements alors que certaines parties parmi les extrêmes au sein des deux camps veulent en découdre et arriver à leur objectif ce qui pourrait entraîner une nouvelle guerre.

 

Il est impossible de faire taire les armes aussi longtemps dans un pays poste-conflit où les plaies n'ont pas encore totalement guéri, dépourvu d'un véritable processus de réconciliation alors que les armes prolifèrent sous l'action de généreux donateurs étrangers qui sont près à inonder le pays en violation de l'embargo rien que pour assouvir leurs intérêts au détriment de celui des Libyens.
-0- PANA BY/IS 05mai2022