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La démobilisation des groupes armés au cœur du règlement de la crise politique en Libye

Tripoli, Libye (PANA) - La problématique de la démobilisation et de l'intégration des groupes armés en Libye objet d'un atelier organisé, mardi dernier, dans la ville espagnole de Tolède sur les modalités pour les partenaires internationaux de contribuer avec les Nations unies à parvenir à régler cette question, remet au devant de la scène libyenne, cette épineuse question à un moment où la crise politique qui sévit dans le pays atteint son comble par l'existence de deux gouvernements.

 

Une situation amenant à s'interroger sur le rapport entre ces formations armées prolifiques et la solution politique dans ce pays d'Afrique du Nord.

 

Autrement dit peut-on parvenir à une solution politique en présence de ces groupes armés et milices qui sont devenus, au fil des ans, l'un des principaux traits caractéristiques de la vie en Libye durant cette décennie écoulée ?

 

Ces groupes armés représentent-ils le seul obstacle qui se dresse devant la normalisation de la vie, la stabilité et la construction d'un Etat démocratique doté d'institutions pérennes, assurant l'alternance pacifique au pouvoir auxquels ont aspiré les Libyens à travers la révolution du 17 février 2011?

 

C'est à la faveur de la révolution du 17 février qui a débouché sur un conflit armé qui a duré huit mois pour contrer la répression des brigades de l'ancien régime que les groupes armés se sont formés pour devenir un élément essentiel de la vie sécuritaire et politique du pays.

 

Après la chute du région et avec lui l'effondrement des structures de l'Etat ainsi que les organes de sécurité et militaire, les groupes armés ont été utilisés par les différents gouvernements comme des supports pour assurer la sécurité du pays et sécuriser les bâtiments publics et sièges du gouvernement.

 

Bénéficiant du financement de l'Etat qui leur assure des salaires, les groupes armés se sont multipliés se comptant par centaines dans le pays pour bénéficier des avantages financiers et autres privilèges que leur procurent les armes dans le contexte de la prolifération de l'armement qui a été pillé dans les entrepôts des brigades de Kadhafi lors des événements de 2011.

 

Ainsi aucune résolution tangible ni volonté politique ferme n'a été prise par les autorités libyennes au lendemain de la révolution pour régler la question des groupes armés qui a pris de l'ampleur devant omniprésent et contrôlant la réalité du terrain tout en bénéficiant d'une autonomie par rapport aux autorités agissant sous leurs tutelles.

 

La question a été sans cesse différée jusqu'à se compliquer davantage, pour devenir un problème insoluble qui pèse lourdement sur la stabilité et l'unité du pays, ainsi que sur la construction du futur Etat dont rêve les Libyens qui se sont révoltés pour une vie meilleur, la dignité, la liberté, l'équité et la prospérité.

 

La première initiative des autorités après la révolution de 2011 pour intégration de ces milices dans l’appareil de l'Etat a été de placer certains groupes armés sous la tutelle du ministère de la Défense, avec la création de "Boucliers" ou celle de la Commission de sécurité suprême au ministère de l’Intérieur.

 

Malgré cette restructuration, les groupes armés et milices ont préservé une autonomie qui traduit plus une tolérance à l'égard des gouvernements en présence qu'un véritable assujettissement.

 

Cette situation a fait des groupes armés une source du problème et de crise dans le pays, contribuant à accentuer l'instabilité et à l'insécurité, devenant abhorrés par Libyens qui ne rêvent plus que d'une véritable armée et d'une police professionnelles pour assurer la sécurité et la stabilité.

 

Des revendications qui ont été exprimées lors de différentes manifestations de Libyens dans les diverses villes et régions du pays à partir de 2013 au moment où le chaos sécuritaire a atteint son comble.

 

En effet, les arrestations arbitraires, sur l'identité, les disparitions forcées les prisons illégales et sécrètes, la torture, l'extraction de fonds et les exécutions extrajudiciaires se multipliés dans le pays. Des pratiques pour lesquelles les groupes armés ont été accusés.

 

Des tentatives timides de récupération et collecte armés ont eu lieu en 2012 et 2013 avec des campagnes de récupération des armes mais qui n'ont pas suscité un véritable engouement des citoyens ni des groupes armés qui se cramponnent à leurs armes pour préserver leurs privilèges et la puissance que leur procure cet armement.

 

Des programmes de démobilisation et d'intégration ont été mis en place par les gouvernements des Premiers ministres, Abderrahimial-Kib et Ali Zidane, proposant des formations, des prêts bancaires très avantageux pour ouvrir des projets d'activités génératrices de revenus ainsi que des études à l'étranger où l'intégration au sein des organes de sécurité et de l'armée mais qui n'ont pas eu un succès retentissant car n'ayant pas réussi à drainer un grand nombre des "révolutionnaires" qui ont combattus lors de la révolution.

 

Pour l'activiste et militant libyen des organisations de la société civile, Hamza Al-Fitouri "il est incontestable que les groupes armés et milices ont largement contribué au chaos ambiant et à l'état de déstabilisation dans lequel le pays a été plongé depuis 2011", assurant que "les autorités qui se sont succedées portent une part de responsabilité pour n'avoir pas mis l'accent sur le règlement de cette question de manière radicale afin de baliser le terrain pour la reconstruction de l'Etat sur des bases saines lui assurant la stabilité et la sécurité.

 

Il a également incriminé "les grandes puissances occidentales et les pays de l'OTAN qui sont intervenus militairement en Libye de n'avoir pas accompagné le pays en lui faisant bénéficier de leurs expertises et expériences dans le domaine pour trouver une solution à travers la démobilisation et l'intégration des combattants ainsi que la construction des organes de sécurité et militaire pour l'Etat libyen".

 

Selon lui, "des formations ont été offertes par différents pays dont l'Italie, la France, la Grande Bretagne, l'Egypte, l'Algérie, le Maroc, la France, la Turquie et autres mais sans véritablement aider à la mise en place d'organes militaires unifiées", rappelant que "l'institution militaire en Libye est toujours divisée entre l'Est et l'Ouest du pays ce qui contribue au maintien de l'insécurité".

 

L'analyste politique libyen, Salah Al-Wahichi est plus nuancé à propos du rôle des groupes armés, assurant que "certes, qu'ils ont un rôle aux aspects négatifs à travers cette indiscipline qui règne en leur sein qui leur font adopter des comportements répréhensibles", ajoutant toutefois, que "tout au long de cette décennie, les groupes armés se sont distingués par un apport positif dans la préservation de la sécurité du pays et la sécurisation de ses frontières et la lutte contre le terrorisme".

 

M. Al-Wahichi a rappelé que "les groupes armés ont permis de repousser l'attaque contre la capitale Tripoli en 2019 à la faveur de l'offensive lancée par Haftar, en se mobilisant pour combattre les forces assaillantes appuyées par les mercenaires russes de Wagner et des rebelles soudanais Janjawid et soudanais".

 

Il a signalé que "grâce aux groupes armés l'organisation de l'Etat islamique (Daech) a été vaincue en 2016 à Syrte qu'elle avait transformé en Emirat", assurant que  "ces groupes armés sont toujours prêts à s'unir pour contrer toute menace contre la Libye dont ils sont une partie intégrante".

 

L'analyste politique a mentionné aussi "la place prépondérante dont jouit ces groupes armés sur l'échiquier politique libyen pour l'exercice et le maintien au pouvoir", citant à cet égard, "les derniers affrontements à Tripoli entre les partisans du Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaiba et ceux du Premier ministre désigné par le Parlement lors de sa tentative de s'installer à Tripoli".

 

Selon lui, "ces affrontements démontrent le soutien déterminant des groupes armés dans la vie politique du pays", rappelant que "des représentants des groupes armés ont participé dernièrement à des rencontres au Maroc et auparavant en suisse sur les moyens de régler la crise actuelle dans le pays".

 

Le professeur universitaire libyen Nasser Al-Gharyani a estimé, pour sa part, que "les groupes armés ne représentent pas le seul frein au règlement de la crise politique en Libye même si leur dissolution est nécessaire pour un apaisement de la tension et la disparition d'un facteur contribuant à entretenir l'instabilité du pays", signalant que "la crise libyenne présente de multiples facettes sécuritaire, sociale et politique, nécessitant la combinaison des efforts pour baliser la voie vers une solution pacifique pour garantir les chances de préserver la stabilité et l'unité de la Libye".

 

Il a affirmé que "l'essentiel actuellement est de renouveler les institutions ce qui représente une action d'urgence à réaliser à travers l'octroi d'une nouvelle légitimité permettant aux nouveaux responsables du pays d'agir pour régler les problèmes en instance en particulier la réconciliation nationale et prendre les décisions nécessaires pour remettre le pays sur la voie de la reconstruction de l'Etat auquel aspirent les Libyens ".

 

M. Al-Gharyani a indiqué, à ce sujet que "les élections sur lesquelles tous les Libyens s'accordent représentent, aujourd'hui, le moyen le plus simple et rapide d'entamer la remise du pays sur les rails pour pouvoir par la suite petit à petit résoudre les autres problèmes jusqu'à arriver à la stabilité et au consensus entre Libyens après avoir dépassé les divergences et désaccords post-conflit pour s'accorder sur l'ultime objectif de l'unité, de la souveraineté et de l'indépendance de la Libye".

 

L'universitaire libyen a indiqué que "les élections qui font l'unanimité aussi bien parmi les Libyens que les pays étrangers impliqués dans le dossier libyen, ne constituent pas une solution miraculeuse qui, à la manière d'une baquette magique, vont régler tous les problèmes du pays, mais représentent la première pierre de l'édifice qui doit être construit peu à peu pour arriver à un Etat fort et viable".

 

Il a rappelé que "la Chambre des représentants (Parlement) et le Haut Conseil d'Etat qui occupent les devants de la scène en Libye sont autant responsables que les groupes armés de l'état de déliquescence dans lequel se trouve le pays", rappelant que "ces deux institutions ont largement dépassé leurs mandats et ont contribué à travers leurs décisions controversées au service d'intérêts égoïstes à envenimer la situation et à aggraver la crise. Donc leur départ sera salutaire pour baliser le terrain à une solution rapide dans le pays".

 

A noter que le Premier ministre libyen du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaba, a annoncé mercredi soir le lancement à partir des juin des procédures pour l'organisation des élections législatives qui seront prévues à la fin de l'année en cours, alors que des consultations sur une règle constitutionnelle sur la base de laquelle le scrutin électoral sera tenu, ont été entamées pour dépasser les blocages à ce sujet.

 

De l'autre côté, le Parlement libyen et le Haut Conseil d'Etat doivent se retrouver le 11 juin prochain au Caire en Egypte pour finaliser la définition d'une base constitutionnelle après avoir convenu sur 137 articles lors du deuxième round du 15 au 20 mai courant dans la capitale égyptienne sous les auspices des Nations unies. 
-0- PANA BY/IS 26mai2022