Agence Panafricaine d'information

La crise politique attise les ingérences étrangères en Libye

Tripoli, Libye (PANA) - La résurgence des désaccords entre les membres du Conseil de sécurité des Nations unies qui ont échoué pour la quatrième fois consécutive à prolonger le mandat de la Mission d'appui des Nations en Libye (MANUL) pour un an, dénote du retour des ingérences dans le pays, exacerbées par la crise politique qui sévit avec l'existence de deux gouvernements rivaux, ramenant à la phase des divisons des institutions de l'Etat avec son corollaire de polarisation et des risques de confrontations armées.

 

Vendredi, le Conseil de sécurité a décidé, à l’unanimité, de proroger jusqu’au 31 juillet 2022 et dans les mêmes termes le mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), la quatrième prorogation technique de la Mission depuis septembre 2021, après celles du 15 et du 30 septembre ainsi que celle du 31 janvier 2022, dévoilant la persistance des désaccords entre les pays membres sur le dossier libyen. 

 

Lors des explications de vote, la grande majorité des membres du Conseil ont regretté, selon les Nations unies qu'"il ait été une fois encore impossible de s’accorder sur une prorogation plus longue et sur un mandat de fond pour la MANUL et ont mis en cause la Fédération de Russie, accusée par les États-Unis de +prendre le mandat de la Mission en otage+".

 

Se défendant contre les accusations des autres membres du Conseil pour son refus d’accepter un mandat plus long et plus substantiel pour la Mission, la Fédération de Russie a expliqué sa position, selon le site des Nations unies "en se disant convaincue que la configuration actuelle de la Mission était inacceptable et en soulignant que la résolution envoie un message clair sur la nécessité de prendre immédiatement une décision sur la désignation de son nouveau chef".

 

"Depuis six mois, en l’absence d’un représentant spécial, la MANUL ne peut accompagner efficacement le processus de réconciliation en Libye", a affirmé le représentant de la Russie qui a, en outre, mis en doute l’impartialité de la MANUL, menaçant qu'en cas de nouveau "retard délibéré" concernant la désignation, son pays en "tirera toutes les conséquences concernant l’avenir de la MANUL".

 

La Russie a également accusé "certains membres du Conseil de ne pas accepter que la MANUL soit dirigée par un représentant spécial africain et y a vu un signe de néocolonialisme .  

 

En fait, les désaccords au sein des membres du Conseil de sécurité, opposant les Etats-Unis à la tête du camp des occidentaux et la Russie, ont pour toile de fonds la nomination d'un nouvel envoyé spécial du Secrétaire général en Libye, après le départ de l’Envoyé spécial, le Slovaque, Jan Kubis qui a démissionné en novembre 2021.

 

Pressentie à ce poste, la diplomate américaine, Stephanie Williams, qui a officié comme Représentante spéciale adjointe, avant d'assurer l'intérim suite au départ en février 2020 du dernier Représentant spécial, le Libanais Ghassan Salamé, a été recalée en raison de l'opposition de Moscou.

 

Une situation qui a poussé le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres de trouver une parade en la nommant comme Conseillère spéciale pour la Libye, chargé de conduire les bons offices de médiation avec les parties locales et régionales pour parvenir à des élections générales, contournant ainsi le Conseil de sécurité.

 

C'est pour cela que les membres du Conseil ont décidé dans leur résolution que la Mission onusienne devra être dirigée par un représentant spécial du Secrétaire général basé à Tripoli, épaulé par deux représentants spéciaux adjoints, demandant au Secrétaire général de nommer rapidement un représentant spécial. 

 

Ces désaccords entre membres du Conseil de sécurité avaient prévalu lors de l'attaque le 4 avril 2019 par l'armée nationale libyenne basée à l'Est et dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, paralysant l'instance exécutive de l'ONU qui a échoué à adopter une quelconque résolution pour mettre fin à cette offensive qui a débuté alors que M. Guterres était présent dans la capitale libyenne pour donner sa bénédiction à la Conférence de Ghadamès censée trouver une solution consensuelle libyo-libyenne à la crise politico-militaire dans le pays.

 

La Russie a fait usage de son droit de veto et s'est opposée à tous les projets de résolution pour traiter la situation en Libye et mettre fin à l'attaque contre Tripoli bien que cette guerre qui se déroule dans un milieu urbain à forte densité d'habitants a ciblé en premier lieu les civils se trouvant dans les zones de combat. 

 

Cette situation avait donné à la crise libyenne une dimension internationale avec les ingérences des pays qui se sont alliés avec des parties locales à l'instar de la Russie qui soutient avec l'Egypte, les Emirats arabes unis, l'Arabie saoudite et la France, le camp de Haftar et du président du Parlement libyen, Aguila Saleh qui a servi de couverture politique à cette opération militaire.

 

Les Etats-Unis durant l'administration du président Donald Trump, a eu une attitude ambiguë dans le dossier libyen partagé entre le fou de l'attitude de la Maison Blanche qui penche pour Haftar et la dénonciation du Département d'Etat américain de l'attaque militaire contre Tripoli.

 

Le camp du gouvernement de l'Accord national installé dans l'Ouest du pays a bénéficié de l'appui de la Turquie et du Qatar ayant permis de repoussé l'attaque et de battre les troupes de Haftar en juin 2020.

 

Un temps mis en sourdine, les ingérences étrangères en Libye ont connu ces derniers mois un net recul dans les affaires du pays après le consensus auquel sont parvenus les Libyens dans le cadre du processus politique issu du mécanisme de la Conférence de Berlin ayant débouché sur le Forum du dialogue politique libyen.

 

Ce regroupement de 75 personnalités libyennes de divers horizons triées par les Nations unies ayant adopté une feuille de route, portant, entre autres, sur l'instauration d'une transition ou phase préliminaire, l'organisation des élections générales fixées au 24 décembre, date symbolique du 70e anniversaire de l'indépendance sous la supervision d'un gouvernement d'unité nationale.

 

Un élan de consensus sans précédent entre Libyens a permis de surmonter les difficultés dans le pays et au Parlement d'accorder la confiance au nouveau gouvernement avec une large majorité des députés, faisant retrouver à la Libye sa stabilité et le retour de la paix avec les progrès dans l'unification des institutions de l'Etat et la dissolution du gouvernement parallèle installé à l'Est.

 

Mais les problèmes ont commencé à apparaître avec le projet du budget  de 2021 du gouvernement d'unité nationale qui n'a pas été adopté par l'instance législative qui a prétexté le volume excessif de la loi de finances pour le rejeter malgré plusieurs révisions.

En outre, l'élaboration des lois électorales par le Parlement de manière unilatérale sans consultation ni concertation avec le Haut Conseil d'Etat, après l'échec du Forum du dialogue politique libyen à adopter une base constitutionnelle pour servir aux élections en l'absence d'une Constitution permanente pour le pays, a conduit le pays dans une nouvelle impasse suite à l'impossibilité d'organiser les élections du 24 décembre dernier.

 

La Haute Commission électorale libyenne a justifié ce report par des conditions politiques spécifiques, l'insécurité et les recours judiciaires contre les candidats inhérents aux lacunes dans les lois électorales.

 

Malgré la transaction entre le Parlement et le Haut Conseil pour mettre en place un processus, établissant, en fait, une nouvelle phase de transition de 14 mois au cours de laquelle, sera révisé le projet de la Constitution de 2017 par un comité paritaire entre les deux Conseils, l'organisation d'un référendum pour son adoption et la nomination d'un nouveau Premier ministre pour former un gouvernement, cet arrangement a échoué.

 

En effet, les Libyens et les pays impliqués dans le dossier libyen ont rejeté toute nouvelle transition, appelant à la tenue des élections le plus rapidement possible.

 

Ainsi la Libye s'est retrouvée avec deux gouvernements celui du Premier ministre en exercice, Abdelhamid Al-Dbaiba, issu du consensus entre Libyens sous l'égide des Nations unies et celui du Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha. Chacun revendiquant la légitimité et refusant de céder, ramenant la tension dans le pays avec les risques d'une nouvelle guerre dans le pays.

 

A la lumière de cette situation, certains pays de la région ont commencé à se positionner sur la crise en Libye en s'alignant sur la position de l'un ou l'autre camp.

 

Il s'agit essentiellement des puissances régionales comme l'Algérie, l'Egypte et l'Arabie saoudite.

 

En effet, lors d'une visite en Arabie saoudite, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi a apporté avec le roi saoudien, Salman Bin Abdelaziz, leur soutien aux décisions prises par le Parlement libyen, en allusion à la nomination d'un nouveau gouvernement.

 

Cette position a été précédée par celle du ministère égyptien des Affaires étrangères qui a appuyé la nomination du Premier ministre, Fathi Bachagha et le vote de confiance accordé à son gouvernement, dans une reconnaissance claire du nouveau gouvernement libyen.

 

De son côté, l'Algérie a réitéré par le biais de son président, Abdelmadjid Tebboune, la reconnaissance uniquement au gouvernement du Premier ministre, Abdelhamid al-Dbaida, qui représente, selon lui la légitimité internationale.   

 

Dans une interview à la télévision d'Etat algérienne, diffusée dans la nuit de samedi à dimanche, le président algérien a réitéré que son pays suit la "légitimité internationale" concernant le dossier libyen et s'engage à soutenir le gouvernement internationalement reconnu, pointant du doigt le rejet de la mesure unilatérale qui a conduit à la nomination d'une autre autorité exécutive, en référence au gouvernement désigné par la Chambre des représentants (Parlement) dirigé par Fathi Bachagha.

 

Cependant, a-t-il déclaré à cet égard : "Rien ne se décide en dehors du cadre de la légitimité internationale, et l'Algérie ne reconnaît que le gouvernement qui possède la légitimité internationale, qui est le gouvernement de Dbaiba, et quiconque veut le changer doit le changer par des élections et rien que les élections".

 

Mais il a précisé que l'Algérie "n'interférera pas pour diviser, nous rechercherons le consensus, car nous sommes convaincus que la solution ne se fera pas en dehors du consensus libyo-libyen".

 

Les deux gouvernements rivaux en Libye cherchent aussi à se faire des alliances avec les pays de la région pour asseoir chacun sa domination dans le contexte de l'impasse du processus électoral dont l'issue est suspendue au succès de la médiation menée par la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat.

 

Tous les espoirs sont nourris à l'égard du second round des consultations entre la commission mixte des deux Conseils pour définir une base constitutionnelle devant servir aux élections générales, qui est prévu mi-mai courant au Caire en Egypte sous les auspices des Nations unies. 

-0- PANA BY/IS 01mai2022