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La campagne de Haftar perd son principal facteur, ''la surprise''

Tripoli, Libye (PANA) - L'opération militaire lancée par le commandant en chef de l'Armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar installée dans l'Est de la Libye contre la région Ouest du pays et la capitale, Tripoli, est entrée dans sa deuxième semaine sans enregistrer d'avancée notable sur le terrain.

Cette opération et la riposte des forces affiliées au gouvernement d'entente nationale basé à Tripoli, ont jusqu'à présent fait des dizaines de morts, de blessés et des milliers de personnes déplacées, ainsi que des centaines de familles piégées par les tirs à l'arme lourde dont l'utilisation est pourtant interdite par le droit international dans des quartiers populaires.

Parmi ces armes lourdes figurent notamment des chars, des lance-roquettes Grad et des canons.

Les banlieues de Tripoli (Sud, Ouest et Sud-Est) apparaissaient ce vendredi matin, jour de repos hebdomadaire, comme des lieux fantômes où étaient absentes populations et voitures. De même, ont disparu, les marchés populaires hebdomadaires organisés chaque vendredi pour la vente de fruits, de légumes, de bêtes, de volailles, de matériels agricoles légers, d'habits prêt-à-porter et des chaussures, maillots de sports et autres produits importés de différents pays du monde.

Toutes les zones de combats, à l'exception de la banlieue Ouest de Tripoli qui mène vers les frontières avec la Tunisie, à environ 165 km du centre de la capitale, enregistrent des courses-poursuites entre les belligérants, sans qu'aucune des deux parties ne puisse contrôler durablement les points stratégiques.

L'écrivain et journaliste libyen, Mohamed el Rahibi, interrogé par la PANA à Tripoli, a affirmé que ''l'Armée nationale libyenne sous le commandement du Maréchal Haftar n'a pas bénéficié du facteur ''surprise et choc'', ce qui laisse comprendre que les affrontements vont durer longtemps, si la Communauté internationale n'intervient pas pour mettre fin à l'effusion de sang des Libyens et imposer le retour à la table de négociations''.

''L'opération de l'Armée libyenne contre la capitale ne sera pas aisée et ne sera pas une simple promenade de santé comme l'imaginaient certains'', a ajouté M. Rahibi.

De son côté, l'ingénieur en communication, Ibrahim Lafi (60 ans), demeurant dans la banlieue Est de Tripoli, a affirmé, dans un contact téléphonique avec la PANA, que les débris des obus tombent non loin du quartier où il habite, indiquant craindre des conséquences psychologiques sur ses petits enfants terrorisés par les détonations et les fortes explosions. ''Je n'ai pas beaucoup de choix, je ne sais pas ce que je dois faire. Où dois-je aller avec mes enfants (trois garçons et deux filles) dont l'âge varie entre 15 et 22 ans'', s'est lamenté M. Lafi, précisant vivre avec la famille de son fils qui partage avec lui le premier étage de la maison et qui a trois enfants âgés entre deux et cinq ans.

Khalifa Haftar avait donné jeudi dernier l'ordre à ses forces d'entrer à Tripoli et dans la région Ouest du pays pour ''les libérer de ce qu'il a appelé les milices armées et les groupes terroristes''.

Le Colonel en retraite, Mansour Marghini, a estimé dans un entretien avec la PANA que le Maréchal Haftar est aujourd'hui dans une position très difficile. Il n'a pas beaucoup de choix, affirmant qu'il avait misé, en entrant dans la ville de Gharyan (80 km au Sud de Tripoli) sur l'insurrection des populations de la capitale lui permettant de prendre Tripoli sans combats. Mais, ces calculs ou les renseignements dont a parlé, pendant plusieurs jours avant le déclenchement de l'opération, son porte-parole, le commandant Ahmed Mismeri, se sont avérés faux, a ajouté le colonel Marghini.

Il a indiqué que le Maréchal Haftar ne peut pas se permettre de lancer une grande partie de ses forces dans les combats de Tripoli de peur de perdre le contrôle des lignes de ravitaillement à cause de la présence des forces de Misratah affiliées au gouvernement d'entente de Tripoli. Pour pallier  ce déficit de troupes, il a procédé à des bombardements contre des objectifs dans la ville de Sakouna, dans la région de Joufra.

Si le porte-parole du Maréchal Haftar a affirmé que ces bombardements ont visé une ferme du défunt colonel Mouammar Kadhafi, des sources bien informées ont, en revanche, indiqué que l'objectif était des dépôts de carburants. Pour le colonel Marghini, le maréchal Haftar ne peut plus retourner à Benghazi bredouille, de peur d'être victime d'un ''coup d'Etat de la rue'' dans la deuxième ville du pays située à l'Est du pays.

L'escalade militaire qui prévaut actuellement en Libye qualifiée par les Nations unies et sa Mission dans le pays de ''dangereuse'' et condamnée sur le plan international, intervient à deux semaines de la conférence nationale inclusive qui était programmée par l'Envoyé spécial de l'ONU, Ghassan Salamé, du 14 au 16 avril à Ghadamès.

M. Salamé a préparé la tenue de la conférence depuis plus d'un an dans le but de sortir le pays de la crise dans laquelle la Libye est tombée depuis le coup d'Etat mené par le courant ''islamiste'' contre le processus démocratique en 2014.

Le défenseur des droits de l'homme libyen, Abdel Raouf Naji, se demande, dans un entretien avec la PANA, depuis la ville de ''Qura- Wali'' où il a été contraint de passer la nuit au domicile d'un ami alors qu'il regagnait sa maison dans la banlieue de Tripoli à cause des combats dans la zone de Tajoura, qu'elles sont les raisons qui ont poussé le maréchal Haftar à revenir sur ses engagements et sur les accords de Paris, de Palerme, et récemment d'Abou Dhabi, aux Emirats Arabes Unis sous l'égide des Nations unies.

Pour ce défenseur des droits l'homme, l'attitude de Haftar est sans doute dictée par des forces régionales qui ont intérêt à qu'une situation d'anarchie et d'insécurité demeure en Libye. Ces forces régionales ont certainement poussé le commandant militaire libyen à lancer son opération contre Tripoli et la région Ouest du pays, a-t-il ajouté.

Les forces armées affiliées au gouvernement d'entente dirigé par Fayez Sarraj ont lancé dimanche une opération intitulée ''Volcan de la colère'' contre les forces du Maréchal Haftar, rappelle-t-on. M. Sarraj a promis de continuer ces opérations ''jusqu'à atteindre les objectifs, à savoir le retour au dialogue et au processus politique''.

S'exprimant lors d'une rencontre avec les maires des villes de la région Ouest, Fayez Sarraj a martelé que ''l'opération sera maintenue jusqu'au retour au processus démocratique afin de permettre aux Libyens de dialoguer avec des idées et non avec des armes et d'instaurer un État civil auquel ils aspirent''.

Pour sa part, le défenseur des droits de l'homme libyen, Ridha Hadi a estimé que l'opération militaire lancée par le Maréchal ''a ramené la Libye à la période d'avant l'accord de Sikhirat'', ville du Maroc. Plus grave, a-t-il ajouté, ''l'opération a permis aux dirigeants des groupes extrémistes de s'installer dans la banlieue de Tripoli, après leur éradication totale, ce qui est très dangereux car pouvant mener à une guerre de longue durée''.

De son côté, Amran Salah Belaid, travailleur dans une des banques de la place, a affirmé que les milices armées sont responsables de la crise de liquidités aiguë qui sévit dans le pays, estimant que seule la force est en mesure de les chasser de la scène libyenne.

Un grand débat oppose actuellement les habitants de Tripoli sur l'opération militaire lancée par le maréchal Haftar. Ce débat fait rage dans les cafés populaires de la capitale entre ceux qui sont contre la menace des populations et l'effusion de sang et ceux qui soutiennent la nécessité de purger le pays des milices armées et de leurs chefs accusés de piller les finances publiques et de détruire l'économie de la Libye.

Ce débat est essentiellement relayé par les réseaux sociaux et met davantage en évidence le différend entre les belligérants de la crise libyenne, aggravée par les chaînes de télévision qui diffusent depuis de nombreuses capitales arabes et des pays du Golfe, notamment. Ces médias incitent à la violence et à la haine dans la plupart de leurs programmes ce qui, selon les observateurs, va davantage déchirer le tissu social libyen pendant de nombreuses années.

Le journaliste libyen Ramadan Mahmoud a accusé dans sa page Facebook les responsables de ces chaînes de télévision ''de faire du commerce avec le sang des Libyens tout en exécutant des agendas en faveur des pays bailleurs au détriment de l'unité nationale libyenne''.

Il est difficile aujourd'hui de prévoir les résultats de la campagne militaire du Maréchal Khalifa Haftar contre la capitale libyenne, même si ce dernier a perdu le facteur surprise et ne peut pas utiliser toutes ses forces dans la bataille de Tripoli de peur de subir les effets négatifs de l'interruption des lignes de ravitaillement pour ses troupes à 1.000 km à l'Est du pays. Il est cependant aisé de relever l'inquiétude et le pessimisme des Libyens suite à l'indifférence de la Communauté internationale, principal responsable, selon de nombreux Libyens, de la situation qui prévaut actuellement en Libye, née de l'intervention en 2011 de l'OTAN pour destituer le régime du Colonel Kadhafi.

Ils constatent aujourd'hui, pour une deuxième fois, que la Communauté internationale plie bagages pour quitter le pays pour laisser la place à des forces régionales et internationales qui mettront de l'huile sur le feu pour nourrir et accroître davantage la crise libyenne, devenue un combat pour le pouvoir et l'argent.

-0- PANA YY/IN/BEH/SOC 12avr2019