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L'omniprésence des groupes armés en Libye relativise la solution de la crise par les élections

Tripoli, Libye (PANA) - Les derniers affrontements armés opposant groupes armés rivaux à Misrata, en particulier ceux meurtriers de la capitale libyenne tuant 16 personnes et en blessant 52 autres, ont attisé la tension déjà très fébrile dans le pays en raison de l'impasse du processus politique et de l'existence de deux gouvernements concurrents, consacrant la polarisation politique qui a compromis une solution politique, poussant certains à s'interroger sur la possibilité de parvenir à un règlement via des élections générales au regard de l'omniprésence des formations armées.

En effet, les Libyens ont commencé à se demander si la solution à la crise qui avait fait l'unanimité, à savoir l'organisation des élections présidentielle et législatives, pourra toujours tenir face à ce danger persistant dans le pays incarné par les groupes armés devenus une donnée essentielle de la scène politique, pouvant à tout moment faire basculer le pays dans la guerre et torpiller tout règlement même après des élections et l'installation d'institution élues dotées d'une nouvelle légitimité via les urnes. 

Devenus incontournables dans le pays depuis la Révolution du 17 février 2011 qui a renversé l'ancien régime entraînant avec lui l'effondrement des structures de l'Etat, notamment les organes de sécurité et de l'armée, les groupes armés et milices ont gagné en proportion, s'incrustant dans le paysage politique.

Ils ont grandement contribué à maintenir l'insécurité et le chaos durant cette décennie écoulée, en particulier dans la capitale libyenne qui abrite les institutions de souveraineté et financières ainsi que le centre des décisions politiques.

Les primes et financements que leur octroient les différents gouvernements libyens ont donné de l'importance à ces groupes armés dont l'influence s'est considérablement accrue.

Ainsi, tout au long de ces dernières années, la question de ces groupes armés et milices a été sans cesse reléguée au second plan, alors que leur présence dans le contexte de la prolifération des armes pèse sur la stabilité du pays.

Bien que le programme d'intégration, de démobilisation et de désarment figure en bonne place dans les missions des Nations unies en Libye, le dossier n'a pas bénéficié d'une action déterminante permettant de réaliser des progrès décisifs pour régler la présence des armes en dehors de l'autorité de l'Etat.

Une rencontre tenue récemment en Espagne sur la question du désarmement, de la démobilisation et de l'intégration des groupes armés en Libye demeure au niveau des paroles et des bonnes intentions, sans aucun effet palpable sur le terrain malgré la présence des acteurs comme les Etats-Unis, les Nations unies, l'Union européenne et autres partenaires internationaux.

Indépendamment de la lutte pour le pouvoir que peuvent se livrer les parties libyennes sur fonds de polarisation et de divisions des institutions et autres facteurs relatifs à l'identité, au régionalisme ou au tribalisme, les confrontations entre groupes armés surviennent pour des raisons aussi diverses que futiles dans un signe clair de la problématique que pose leur présence en termes de défi à la paix dans le pays.

Il est indéniable, selon les observateurs de la scène libyenne que la présence des formations armées irrégulières en Libye ne sert ni la paix ni la stabilité et représente un obstacle pour la pacification du pays et l'imposition par l'Etat de son autorité et de sa volonté.

A partir de ce constat, il est établi que le maintien de la situation sécuritaire telle quelle en Libye avec l'omniprésence des groupes armés qui contrôlent la réalité sur le terrain, l'organisation des élections de nouvelles institutions légitimes n'aura aucun effet sur le cours des choses et le problème risque de se perpétuer, sans aucun doute, ramenant le pays à la case départ.

 

En outre, ces mêmes observateurs ont rappelé que la Libye a organisé trois scrutins jugés transparents et équitables en 2014 pour élire le Congrès général national (CGN, assemblée sortante), l'actuelle Chambre des représentants (Parlement) et l'Autorité de rédaction du projet de la Constitution.

Pour autant, ces élections n'ont pas apporté la stabilité requise, en particulier celles de 2014 qui ont donné lieu à de violents affrontements armés après l'échec de la passation de service entre le CGN et le Parlement élu, ouvrant la voie à une période d'instabilité avec l'existence de gouvernements parallèles et d'ancrage de la division des institutions avec un Etat bicéphale, amenant le pays au bord d'une guerre civile et de la partition.

En dépit de cette réalité cruelle sur l'impact de la présence des groupes armés sur la stabilité en Libye, l'attachement à la tenue des élections législatives et présidentielle demeure une priorité pour résoudre la crise, aussi bien au niveau local qu'international.

Selon les partisans de cette position, les élections constituent l'unique solution pour régler la crise politique et militaire dans le pays en surmontant la question de la légitimité qui se pose avec acuité dans le pays avec la présence des deux gouvernements, celui du Premier ministre, Abdelhamid al-Dbaiba issu d'un consensus entre Libyens lors du Forum du dialogue politique libyen sous les auspices des Nations unies, et celui du Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha.

Cette situation représente, selon les tenants de cette thèse, un développement dangereux de l'impasse du processus politique survenue après le report des élections de décembre dernier, plongeant la Libye dans une nouvelle zone de turbulences marquée par l'exacerbation de la tension allant jusqu'à la multiplication des affrontements armés dans le pays entre les groupes armés qui soutiennent les deux gouvernements rivaux.

Lors de la session de briefing devant le Conseil de sécurité de l'ONU lundi dernier, la sous-secrétaire générale pour l’Afrique au Département des affaires politiques et de consolidation  et des opérations de paix, Martha Ama Akyaa Pobee, a évoqué une situation en Libye qui demeure grandement instable malgré quelques progrès, se disant inquiète de la persistance de l’impasse constitutionnelle qui exacerbe les tensions sécuritaires.

Mme Pobee a regretté, citée par les Nations unies, les blocages liés à l’absence d’accord sur les critères d’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle, rappelant que la priorité pour l’ONU en Libye reste le retour au processus électoral.

Cette position a été partagée par le Royaume-Uni, les États-Unis et la France qui ont souligné "l'urgence à remettre la Libye sur la voie des élections", insistant sur la nécessité d’appuyer les efforts de l’ONU en faveur d’un accord entre les deux Chambres afin de permettre la tenue des élections présidentielle et parlementaires dans les meilleurs délais.  

Ces délégations ont exhorté les acteurs libyens à finaliser rapidement un accord, notamment sur les critères d’éligibilité aux scrutins.

La conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, œuvre via la médiation entre le Parlement et le Haut-conseil d'Etat à aplanir les divergences qui ont persisté sur les conditions d'éligibilité des binationaux et des militaires après la rencontre des 28 et 29 juin dernier à Genève, entre les présidents des deux Chambres libyennes.

Mais le plus inquiétant est l'absence de perspectives pour surmonter ces désaccords sur les conditions d'éligibilité des candidats à la première élection présidentielle de l'histoire du pays que de ce fait augure de la poursuite de l'impasse qui accentue la tension et pousse à la confrontation armée entre les deux camps.

Une situation qui fait que l'option militaire devient de plus en plus probable pour résoudre la question de l'Exécutif avec deux gouvernements dans le pays.

Ainsi, dans ce contexte, la capitale, Tripoli, est en proie à une atmosphère de tension sécuritaire en raison de la mobilisation des troupes de plusieurs groupes armés qui ont regroupé hommes et véhicules armés équipés de canons anti-aériens dans l'aéroport international de la ville, en prévision à des affrontements militaires pour repousser toute attaque armée.

Cette situation est le reflet de l'alignement politique qui s'est renforcé avec des parties politiques s'appuyant sur certains groupes armés dans la lutte pour le pouvoir qui se livre actuellement dans le pays.

Cela intervient après les affrontements qui ont eu lieu dans la capitale la semaine dernière entre les forces de "l'Organe de dissuasion pour la lutte contre le terrorisme et le crime organisé" et la "Brigade des révolutionnaires de Tripoli", qui ont fait 16 morts et 52 blessés.

Des tentatives d'apaiser la tension pour éviter tout développement malencontreux de la situation vers des affrontements armés à Tripoli ont eu lieu, notamment avec une rencontre qui a regroupé plusieurs chefs militaires et de groupes armés.

Dans ce cadre, les commandants des bataillons militaires des régions de Tripoli, Misrata, Zaouia et Zenten, sont parvenus, à l'issue de leur rencontre, à un premier accord selon lequel toutes les mobilisations, regroupements et concentrations des combattants et armements seront retirés des zones de contact entre les belligérants à l'ouest de la capitale libyenne. Ils ont proposé que les éléments des directions de la sécurité relevant du ministère de l'Intérieur se positionnent dans ces zones.

La réunion des commandants des bataillons qui a eu lieu mardi soir au camp militaire du 7 avril à Tripoli, s'est conclue par un accord pour tenir une autre réunion la semaine prochaine afin de convenir d'autres arrangements, selon des sources proches de la réunion, citées par le journal libyen "Al-Wasat".

De son côté, l'ancien commandant de la salle des opérations conjointes de la région de l'Ouest, le général de Division, Oussama al-Jouwaili, a révélé, dans un entretien téléphonique avec la chaîne "Libya Al-Ahrar" mercredi soir, les détails d'une réunion tenue avec des chefs de groupes armés dans la région Ouest, soulignant que la réunion visait à prévenir les conflits armés dans la capitale, sans parvenir à des résultats concrets, sauf "de réduire l'escalade en attendant une deuxième réunion prévue samedi prochain et qui regroupera toutes les parties".

Ainsi, la menace d'un embrasement entre groupes armés a été évitée de justesse grâce à cette rencontre en attendant une seconde réunion ce week-end pour espérer s'accorder définitivement sur une solution permanente d'une désescalade une fois pour toutes, afin que la crise de l'Exécutif soit réglée politiquement. 

D'ici là, il faut également espérer que le Parlement et le Haut-conseil d'Etat parviennent à dépasser leurs divergences et à convenir d'une base constitutionnelle pour tenir des élections générales permettant de surmonter la crise de légitimité, en attendant que l'épineux dossier des groupes armés puisse trouver une solution définitive.

-0- PANA BY/IS/SOC 28juil2022