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L'incursion à Tripoli du Premier ministre désigné par le Parlement, dénote de la gravité de la crise de l'Exécutif en Libye

Tripoli, Libye (PANA) - Sans véritable perspective de règlement, la question de l'Exécutif en Libye, avec deux gouvernements rivaux depuis mars dernier, a constitué tout au long de ces derniers mois un boulet traîné par la scène politique libyenne et une bombe à retardement prête à éclater à tout moment, une réalité illustrée par le coup de force tenté mardi par le Premier ministre désigné par le Parlement, compromettant toute solution pratique et durable dans ce pays d'Afrique du Nord en proie à l'agitation depuis plus d'une décennie.

 

En effet, l'incursion dans la nuit de lundi à mardi du Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha, dans la ville de Tripoli pour y entamer les travaux de son gouvernement, a occasionné de violents affrontements armés entre ses partisans et ceux du Premier ministre en exercice, Abdelhamid al-Dbaiba, dénotant la gravité de cette question qui demeure une menace qui peut replonger le pays dans une nouvelle guerre.

Les affrontements qui ont eu lieu dans la capitale mardi, entre les forces loyales au Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid al-Dbaiba, et celles fidèles au Premier ministre désigné, Fathi Bachagha, selon un rapport préliminaire, ont fait 5 blessés et endommagé 32 voitures, deux hôtels, un appartement et un complexe commercial.

Au niveau des dégâts matériels, la municipalité de Tripoli a enregistré sur les 32 voitures qui ont subi divers dommages touchant le moteur, les vitres ou le châssis, quatre sont complètement détruites, en plus des dommages subis par deux hôtels, ainsi que la façade en verre du complexe commercial de la rue Omar Mokhtar en plein centre-ville de la capitale libyenne.

En outre, ces heurts armés ont semé la terreur parmi les habitants de Tripoli qui ont encore une fois vécu de longues heures d'angoisse et de peur leur rappelant les sombres jours des affrontements armés à la pire période du chaos sécuritaire qui a marqué leur vie durant ces dernières années.

L'impasse dans laquelle s'est engouffré le pays à la suite du report des élections du 24 décembre dernier a débouché sur l'existence de deux gouvernements, celui du Premier ministre en exercice du gouvernement d'unité nationale issu du consensus entre Libyens sous les auspices des Nations unies, et celui du Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha.

Une situation qui démontre, selon les observateurs de la scène politique libyenne, que les efforts entrepris pour traiter les blocages du processus électoral ont été biaisés. Au lieu de trouver une issue consensuelle associant toutes les parties libyennes pour dépasser les problèmes et favoriser l'organisation des élections, ce sont des calculs étroits au service des intérêts individuels qui ont primé, engageant le pays dans une nouvelle crise politique.

Ainsi, le Parlement qui a pris l'initiative d'œuvrer à relancer le processus électoral, a cherché à conclure une transition politique pour assurer son maintien; cette nouvelle transition politique de 14 mois, sera assorti d'un nouveau gouvernement, la révision du projet de la Constitution, l'organisation d'un référendum sur le texte fondamental et des élections générales.

Une démarche qui a été interprétée comme une tentative de prolongation des mandats des deux Chambres qui ont été largement dépassés, suscitant l'opposition du Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid Al-Dbaiba, qui a rejeté ce processus mobilisant une large frange de Libyens désabusés par les agissements des deux Assemblées durant ces années écoulées en contribuant à approfondir la crise dans le pays.

Conscient des aspirations des Libyens pour les élections à travers l'inscription de plus de 2,8 millions dont plus de 2,5 ont retiré leurs cartes d'électeur pour choisir leurs dirigeants, M. Al-Dbaiba a proposé un plan qu'il a baptisé "Rendre la confiance au peuple", reposant sur l'organisation des élections et un référendum sur la Constitution en juin prochain.

Il a réitéré, à plusieurs reprises, sa ferme détermination de ne céder le pouvoir qu'à un gouvernement élu par les Libyens.

Ce nouvel épisode des affrontements armés pour le pouvoir remet au devant de l'actualité en Libye, l'importance de surmonter la question de la légitimité des institutions qui a toujours été à la base des désaccords entre belligérants libyens et alimenté les conflits qui ont jalonné l'histoire contemporaine du pays.

Les événements de Tripoli ont donné lieu à une nouvelle joute verbale et des accusations réciproques entre les deux Premiers ministres, Abdelhamid al-Dbaiba et Fahi Bachagha, de nature à alimenter la surenchère politique et la polarisation dans le pays.

Intervenant mardi soir pour faire le point de la situation à Tripoli, le Premier ministre du gouvernement d'unité nationale a annoncé que la situation sécuritaire était stable à Tripoli, rassurant les missions diplomatiques et  les ambassades qu'"elles peuvent effectuer leur travail normalement et le gouvernement les sécurisera".

M. Al-Dbaiba a précisé dans un discours enregistré sur vidéo et diffusé par le gouvernement, qu'il a accepté d'offrir "un passage sûr pour que le groupe qui s'est suicidé politiquement puisse sortir de Tripoli", assurant que "la raison en est que chaque goutte de sang libyen a plus de valeur que tous leurs partis".

Il a rappelé : "Je l'ai dit dans le passé, que ce groupe ne vit que dans les guerres et les conflits et qu'il est soutenu par un parti démoniaque à l'extérieur. Aujourd'hui, ils se sont alliés contre nous et nos enfants", en allusion à l'alliance entre le Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha et le chef de l'Armée nationale libyenne basée dans l'Est, le maréchal Khalifa Haftar.

M. Al-Dbaiba a souligné que le gouvernement d'unité nationale poursuivra ses fonctions jusqu'aux élections, ajoutant : "Les élections sont la solution. Quant au projet d'extension et de coup d'État, il s'est suicidé politiquement, et aujourd'hui leur certificat de décès a été officiellement délivré".

Il a poursuivi : "Le gouvernement continuera jusqu'à ce que les élections soient mises en œuvre, et malgré l'annonce par le gouvernement de sa volonté d'organiser ces élections au milieu de cette année, nous suivons leurs efforts d'obstruction afin qu'ils n'atteignent pas une base pour les élections, et jusqu'à présent, ils entravent toujours les élections en empêchant la publication de sa loi et en empêchant la commission (électorale) de l'appliquer sous prétexte qu'elle ne le fait pas. Il existe une loi électorale, et je leur dis que c'est leur dernière chance d'approuver une règle pour les élections, sinon nous ne resterons pas les bras croisés".

Des consultations dans le cadre d'une initiative de médiation menée par la conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, se poursuivent depuis dimanche au Caire, en Egypte, entre le Parlement et le Conseil d'Etat via une commission mixte pour définir une base constitutionnelle devant servir à la tenue d'élections générales dans le pays.

De son côté, Fathi Bachagha a affirmé que son gouvernement travaillera depuis Syrte, à partir de ce mercredi.

Dans un discours enregistré dans une vidéo diffusée mardi soir par les services de presse de son gouvernement, quelques heures après son départ de la capitale, Tripoli, à l'issue d'affrontements armés, M. Bachagha a signalé : "Nous avons attendu 81 jours depuis l'adoption du gouvernement par la Chambre des représentants et nous avons fait preuve de patience et de sagesse; il y a eu une grande pression populaire dans la région Ouest, et nous poursuivrons notre objectif par des moyens pacifiques jusqu'à ce que nous gagnions".

Il a fustigé le gouvernement d'unité nationale qui, selon lui, a utilisé "des discours de haine, des trahisons et des insultes, et l'utilisation des services de sécurité pour terroriser, menacer et arrêter des gens...", détaillant les circonstances de son entrée à Tripoli plus tôt dans la journée, de manière pacifique.

Notons que les affrontements armés de mardi à Tripoli ont suscité un vaste élan d'appels relayés aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Libye, dont les Nations unies, les Etats-Unis, la Ligue arabe, la France, l'Italie, l'Algérie, l'Egypte, l'Allemagne, le Qatar, la Turquie et autres, pour maintenir le calme, éviter l'escalade et le recours aux armes pour résoudre les différends politiques, alors que le dialogue et le consensus peuvent servir d'issue conduisant à l'organisation des élections pour mettre fin à la crise politique.

Dans ce cadre, la conseillère onusienne, Stephanie Williams, a souligné mardi, qu'à la lumière des développements à Tripoli, il y a "un besoin urgent de maintenir le calme et de protéger les civils et les installations publiques".

Elle a exhorté "toutes les parties, sans exception, à faire preuve de retenue et à veiller, comme une nécessité absolue, à s'abstenir de toute action provocatrice, notamment en s'abstenant de toute rhétorique incendiaire, en s'abstenant de participer à des affrontements et en mobilisant des forces".

Mme Williams a souligné que "le conflit ne peut pas être résolu par la violence et les options militaires, mais par le dialogue et la négociation", soulignant, par conséquent, que "les efforts des Nations Unies sont à la disposition de toutes les parties qui croient en l'aide à la Libye pour trouver une voie consensuelle pour mettre fin à ces étapes de transition".

Elle a déclaré que "cela passe par la réalisation d'un cadre constitutionnel solide et consensuel afin de permettre aux Libyens de choisir leurs représentants lors d'élections législatives et présidentielle globales et afin de renforcer la stabilité et les opportunités de développement dans le pays".

Les États-Unis ont indiqué qu'ils sont profondément préoccupés par les informations faisant état d'affrontements armés à Tripoli, exhortant "tous les groupes armés à s'abstenir de recourir à la violence et les dirigeants politiques à réaliser que prendre ou conserver le pouvoir par la violence ne fera que nuire au peuple libyen".

La seule voie viable vers un leadership légitime est de permettre aux Libyens de choisir leurs propres dirigeants, a indiqué une publication de l'ambassade américaine en Libye, ajoutant que les pourparlers constitutionnels qui se déroulent actuellement au Caire sont importants plus que jamais.

L'ambassade a souligné que "les membres de la Chambre des représentants et du Haut- conseil d'État qui se réunissent au Caire doivent comprendre que l'absence persistante d'une base constitutionnelle conduisant à des élections présidentielle et parlementaires dans un délai réaliste mais ferme, risque de priver les Libyens de la stabilité et de la prospérité qu'ils méritent".

-0- PANA BY/IS/SOC 18mai2022