L'UA face à la volonté d'écarter l'Afrique dans la recherche d'un règlement politique en Libye
Tripoli, Libye (PANA) - Les velléités des pays occidentaux d'écarter l'Union africaine (UA) du processus de recherche d'une solution politique en Libye semblent prendre le pas sur l'engagement affichée par l'organisation continentale africaine de s'impliquer davantage dans le règlement de la crise dans ce pays de l'Afrique du Nord, eu égard aux répercussions de la situation dans plusieurs pays de la région.
Pourtant l'UA, lasse d'être sans cesse marginalisée dans les affaires libyennes, avait établi, lors de son 32ème Sommet à Addis-Abeba, une stratégie ambitieuse pour s'impliquer davantage dans les efforts de règlement.
En février 2019, un plan de règlement de la crise en Libye portant sur une feuille de route comprenant la tenue d'une conférence de réconciliation et des élections a été adoptée par les dirigeants africains.
Mais ce plan n'a pu être mis en œuvre en raison de la persistance de l'insécurité découlant de l'offensive militaire lancée le 4 avril dernier par le chef de l'Armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar, pour prendre le contrôle de Tripoli.
L'UA a toujours manifesté auparavant, un grand intérêt pour la Libye et a affiné, au cours de ces dernières années, divers mécanismes pour la discussion de la situation en Libye dont le groupe des six pays du voisinage, regroupant l'Algérie, le Niger, le Tchad, la Tunisie, le Soudan, et l'Egypte, le Comité de Haut niveau de l'Union africaine, et le Quartet sur la Libye composé de l'UA, de l'ONU, de la Ligue arabe et de l'Union européenne (UE).
La dernière initiative de l'organisation africaine a été de proposer la nomination d'un émissaire conjoint entre l'UA et l'ONU ayant pour objectif d'élaborer un nouveau plan tenant compte de la vision africaine pour un règlement de la crise en Libye.
Cette proposition a été refusée par des puissances occidentales, rejetant d'associer l'UA à la recherche d'une solution politique en Libye, a accusé le Commissaire de l'UA pour la paix et la sécurité, Ismail Chergui.
Ce choix fait par les pays occidentaux de faire cavalier seul dans les efforts de recherche d'une solution en Libye en marginalisant le continent africain, a été dénoncé par de nombreux dirigeants d'Afrique qui ont souligné l'échec depuis 8 ans de ces pays à trouver une issue à la double crise politique et sécuritaire libyenne.
L'attitude des occidentaux écartant l'UA, a continué à se manifester à travers les rencontres préparatoires de la Conférence internationale de Berlin sur la Libye destinée à trouver un règlement par la bais de la réunion des grandes puissances membres du Conseil de sécurité.
Ainsi, les pays du voisinage de la Libye, à savoir l'Algérie, la Tunisie, le Niger, le Tchad et le Soudan, n'ont pas été invités à participer à cette conférence dont la date n'a pas encore été fixée.
L'analyste politique libyen, Abdelfettah Al-Ferjani, a expliqué "cette volonté des occidentaux d'écarter de la scène libyenne le continent africain et l'Union africaine par les énormes intérêts en jeu, en particulier les richesses en hydrocarbures dont regorge la Libye".
Il a ajouté que "les Occidentaux ne veulent associer personne et considèrent la Libye et les pays au Sud de la Méditerranée comme une chasse gardée, en particulier les pays européens".
Selon lui, "cette situation a entraîné l'ingérence systématique des pays étrangers en Libye, ce qui s'est traduit par l'internationalisation du conflit attisé par la guerre par procuration que se livrent ces pays occidentaux, ainsi que certaines puissances régionales".
Des pays comme l'Egypte, les Emirats arabes unis, la Jordanie, l'Arabie saoudite, la France et la Russie soutiennent les forces de l'Armée nationale libyenne du maréchal Khakifa Haftar, tandis que le Qatar, la Turquie et l'Italie appuient les troupes de l'Armée loyale au gouvernement d'union nationale.
L'Envoyé de l'ONU en Libye, Ghassan Salamé a reconnu que "le conflit en Libye est intimement lié à l'étranger", soulignant qu'on ne peut résoudre la crise libyenne qu'en y associant les pays étrangers.
C'est dans ce cadre qu'il a expliqué que la Conférence de Berlin regroupera les pays membres du Conseil de sécurité, en plus de l'Allemagne pays abritant la réunion et qui préside le Comité des sanctions de l'ONU, ainsi que l'Italie, ancienne puissance coloniale, la Turquie, l'Egypte et les Emirats arabes unis, tous impliqués profondément dans les affaires libyennes.
Certaines voix se sont élevées pour dire que le continent africain incarné par l'Union africaine a choisi lui-même de s'éloigner de la crise libyenne en refusant de s'impliquer.
Le ministre congolais des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, dont le pays occupe la présidence en exercice du Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye, a cité l’Egypte parmi ceux qui retardent le règlement de la crise libyenne, soulignant le paradoxe de ce pays qui occupe la présidence en exercice de l’Union africaine.
"L’Egypte a clairement indiqué qu’elle soutient le maréchal Haftar, alors qu’elle assure en même temps la présidence en exercice de l’Union africaine. Elle est juge et partie et dans ces conditions, il est difficile d’obtenir des résultats", a-t-il dit lors du sixième Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui a clôturé ses assises mardi.
Aboubaker Al-Gmati, professeur de sciences politiques et spécialiste de l'Afrique, a rejoint le chef de la diplomatie congolaise, affirmant que "l'effort de l'UA africaine pour contribuer au règlement de la crise en Libye a été nettement freiné depuis l'accession du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi à la présidence en exercice de l'UA en janvier 2019".
Il a souligné qu'"al-Sissi n'a pris aucune initiative depuis qu'il a occupé la présidence tournante de l'UA pour valoriser le rôle de l'organisation continentale dans le dossier libyen, ni pour tenter de réunir les belligérants afin de rapprocher leurs points de vue pour une solution".
Il a reproché au président égyptien "son action négative dans la recherche d'une solution en Libye", signalant qu'"il a fait preuve d'une grande partialité dans le conflit en recevant Khalifa Haftar et le président de la Chambre des représentants (Parlement), Aguila Saleh, alors qu'il n'a pas invité l'autre camp au Caire".
En juillet, lors du sommet de lancement de la Zone de libre-échange continental africaine (ZLECA) à Niamey, au Niger, le président Al-Sissi a refusé d'assister à une réunion du Comité de haut niveau de l'UA sur la Libye, préférant se faire remplacer par son ministre des Affaires étrangères, Sameh Chokri.
Pour de nombreux observateurs, le président égyptien, contrairement aux engagements qu'il a pris devant ses pairs à son accession à la présidence en exercice de l'UA, d'œuvrer à faire avancer la résolution des conflits, notamment la crise en Libye, a tout fait pour marginaliser le rôle de l'organisation continentale dans le règlement du confit libyen.
Khaled Ahmed Lahdhiri, un activiste de la société civile libyenne, a souligné que "l'UA a renoncé depuis 2011 à s'impliquer dans le dossier libyen, laissant la porte grande ouverte aux grandes puissances occidentales s'en accaparer pour agir à leur guise en Libye, s'ingérant pour servir leurs intérêts égoïstes".
Selon lui, "le président al-Sissi, bien qu'il ait contribué volontairement à tenir l'UA loin des efforts de règlement en Libye, n'a pas pour autant fait moins que ses prédécesseurs à la présidence de l'organisation".
"L'UA s'est résignée depuis que l'OTAN est intervenue militairement en Libye devenue un terrain des ingérences des puissances occidentales qui veulent accaparer les richesses pétrolières du pays", a-t-il déploré.
M. Lahdhiri a estimé toutefois que "l'UA ne doit pas se désister, ni renoncer à son rôle historique en Libye et doit agir pour retrouver sa place sur la scène libyenne, vu qu'elle jouit d'une grande considération auprès de tous les protagonistes qui ont appelé à une plus grande implication de l'organisation dans la recherche d'une solution en Libye".
-0- PANA BY/IS/SOC 21nov2019