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L'UA a-t-elle les moyens de son ambition de s'impliquer davantage dans le règlement de la crise en Libye?

Tripoli, Libye (PANA) - Le 12ème Sommet extraordinaire de l'Union africaine (UA), tenu le 7 juillet à Niamey, au Niger, pour le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a dévoilé une grande volonté de l'organisation continentale de s'impliquer davantage dans le règlement de la crise en Libye, considérée comme un élément de la profondeur sécuritaire de l'Afrique. 

Cette volonté a suscité aussi des interrogations des analystes quant aux moyens dont dispose l'organisation continentale africaine pour réaliser son ambition, dans un dossier aussi épineux que complexe avec, en toile de fond, des ingérences étrangères de puissances régionales et internationales, qui protègent leurs intérêts.

L’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite apportent leur soutien à l'Armée nationale libyenne installée à l'est et dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, tandis que la Turquie et le Qatar appuient le Gouvernement d'union nationale présidé par Fayez al-Sarraj et siégeant à Tripoli.

Une concurrence acharnée oppose l'Italie ancienne puissance coloniale, plutôt pro-Gouvernement d'union nationale et la France, soutenant largement Haftar, dont l'ampleur de l'engagement a été trahie par la découverte, le 27 juin, à Ghariane, de missiles anti-chars Javelin de fabrication américaine dont Paris a revendiqué la propriété.

Le Sommet de Niamey a servi d'opportunité pour l'UA de tenir une rencontre à huis-clos du Comité de haut niveau de l'organisation sur la Libye à un moment crucial où l'escalade militaire bat son plein, à travers l'offensive militaire contre Tripoli et la suspension du processus politique parrainé par les Nations unies.

Selon les fuites rapportées par des diplomates africains, les discussion ont été "houleuses et franches" où l'Union africaine via le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, a dénoncé les ingérences étrangères, réitérant l'engagement de l'organisation continentale à trouver une issue politique à la crise, à travers une plus grande implication.

Ainsi, il a été décidé la nomination d'un Envoyé spécial conjoint entre l'UA et l'ONU, chargé d'élaborer une nouvelle feuille de route commune et d'épauler les efforts libyens dans la recherche de la paix et de la stabilité.

Le seul hic est l'absence à cette rencontre du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, qui assure la présidence de l'UA, une attitude qui reflète sa détermination à écarter l'organisation continentale pour la recherche d'une solution politique en Libye, selon des analystes.

Cette situation ne diminue en rien l'ambition de l'Union africaine d'œuvrer pour une solution en Libye et qui n'est pas nouvelle. Tout au long de huit années de la crise en Libye, dans le sillage de la révolution du17 février 2011, qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi, l'UA a œuvré à apporter sa contribution à une solution politique négociée à l'époque où le président de l'Afrique du Sud, Jacob Zuma, a tenté une médiation.

Mais ses efforts ont été torpillés par les grande puissances qui voulaient assouvir leurs ambitions de servir leurs intérêts en faisant main basse sur les richesses du pays.

La mise en place, en 2015, en marge d'un Sommet de l'Union africaine, d'un mécanisme de consultation régulier des pays du voisinage de la Libye, regroupant l'Algérie, l'Egypte, le Niger, le Soudan, le Tchad et la Tunisie, permettant des rencontres sur la sécurité frontalière, en vue de la stabilité de la région, qui subit les effets de la situation dans ce pays de l'Afrique du Nord, participe de ces efforts africains.

Ces efforts ont été couronnés par un intérêt grandissant de l'UA qui a crée un Comité de haut niveau sur la Libye, présidé par le Congo et avec comme membres l'Afrique du sud, le Niger, le Soudan, l'Algérie, la Mauritanie, la Tunisie, Guinée, le Tchad et l'Egypte.

Avec ces foras de rencontres africaines sur la Libye, l'Union africaine est devenue membre de la Commission quadripartite aux côtés de la Ligue arabe, de l'ONU et de l'Union européenne qui se rencontrent régulièrement pour examiner la crise et œuvrer à la recherche d'une solution politique négociée.

En outre, le 32ème sommet ordinaire de l'Union africaine, en février dernier, à Addis-Abeba, en Ethiopie, a marqué un tournant décisif dans la stratégie de l'organisation continentale  d'implication profonde dans le dossier en Libye en exigeant d'être associée davantage par les Nations unies dans le processus politique.

Les dirigeants africains ont élaboré une feuille de route ébauchant les voies vers une solution en Libye, comprenant essentiellement deux points, à savoir, l'organisation d'une Conférence nationale de réconciliation en Libye, prévue en juillet dernier, reportée en raison de l'escalade actuelle avec l'offensive militaire contre Tripoli, ainsi que des élections en octobre 2019. 

Ultime effort de l'UA pour favoriser une solution pacifique en Libye, l'élection du président Abdel Fattah al-Sissi comme président en exercice de l'organisation pour 2019 eu égard à sa proximité avec la Libye et du poids que pèse l'Egypte dans le monde.

Cette élection s'est avérée, toutefois, infructueuse, étant donné que l'action de M. al-Sissi en faveur de la cause libyenne alors qu'il entame son mi-mandat à la tête de l'organisation continentale est quasi-nulle.

Au contraire, il a corroboré les craintes que nourrissaient des diplomates africains lors de son accession à la présidence tournante de l'UA de mettre à profit ce poste au service de ses ambitions personnelles, de s'en servir comme tremplin, redorer son blason sur la scène internationale grâce à sa nouvelle casquette, mais en marginalisant le rôle de l'Union dans le dossier libyen.

C'est ce que reflète son absence de la réunion du Comité de haut niveau sur la Libye à Niamey.

D'autres acteurs politiques africains poussent vers une consolidation du rôle de l'Union africaine pour contrer les velléités d'exclure le continent de la recherche d'un règlement en Libye.

L'analyste politique libyen, Ahmed Fitouri, a affirmé que "le président du Conseil présidentiel, Fayez al-Sarraj, est découragé par l'attitude des grandes puissances et des pays qui soutiennent Haftar pour préserver leurs intérêts en Libye. Il a opté pour revigorer le rôle de l'Afrique en se tournant vers l'Union africaine et l'associer à la recherche d'une issue à la crise dans le pays". 

Selon lui, "al-Sarraj veut trouver un soutien de l'Union africaine à son initiative politique, proposée le 16 juin, portant sur l'organisation d'un Forum libyen devant déboucher sur l'organisation d'élections générales avant fin 2019 sur la base d'une règle constitutionnelle élaborée par consensus par les Libyens".

D'ailleurs, lors de son intervention durant la réunion à huis-clos du Comité de Haut niveau, M. al-Sarraj a affirmé: " Nous comptons sur le rôle important de l'Union africaine dans les affaires libyennes et l'invitons à soutenir notre initiative pour une solution politique pacifique et à aider le peuple libyen à progresser sur la voie de la sécurité, de la stabilité et de la paix. "

Il a demandé au président du Congo, Denis Sassou-Nguesso, président du Comité de Haut niveau sur la Libye, "à parachever le rôle important du Comité chargé de soutenir la stabilité en Libye et de mettre un terme aux ingérences négatives de certains pays".

"Les multiples défis auxquels sont confrontés nos pays et notre Union africaine aux niveaux local, régional et international, les tentatives de marginalisation et de pillage de nos richesses, le terrorisme et les complots étrangers obligent l'Afrique à rester unie pour y faire face", a-t-il souligné.

Lui emboîtant le pas, le Premier ministre algérien, Noureddine Badaoui, a affirmé que "la crise libyenne est avant tout une crise africaine", ajoutant que "dans cet esprit, nous devons insister sur la nécessité de faire de notre organisation africaine et de son Comité le centre des efforts internationaux pour accompagner les Libyens sur la voie d'une solution politique fondée sur le dialogue et la réconciliation. Ce qui mettra fin aux souffrances du peuple libyen frère".

Représentant l'Algérie au Sommet de l'UA à Niamey, M. Badaoui a appelé les gouvernements africains à "exploiter le partenariat existant entre l'Union africaine et les Nations unies dans le cadre des principes de solidarité et d'intégration, notamment en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique afin de donner un contenu plus clair et efficace à nos efforts pour résoudre la crise libyenne".

Il a exhorté les parties libyennes "à saisir l'occasion de la mobilisation de l'Union africaine à leurs côtés pour parvenir à une solution politique qui atteindra le seul objectif d'organiser des élections transparentes sous le contrôle de l'Union africaine et des Nations unies".

Ainsi, avec l'existence d'une large frange de dirigeants africains qui croient au rôle de l'Afrique en Libye, l'UA pourra avoir les moyens de son ambition de jouer un rôle de premier plan dans ce pays de l'Afrique du Nord, selon les observateurs de la scène libyenne qui suggèrent une plus grande volonté politique.
-0- PANA BY/JSG/IBA 15juil2019