Agence Panafricaine d'information

Fête de l'Aïd al-Idha: les Libyens face à la cherté des moutons et la crise financière

Tripoli, Libye (PANA) - Par Youssef Ba, correspondant de la PANA à Tripoli
En dépit de l'insécurité et du chaos qui règnent en Libye, avec l'escalade de la violence partout dans le pays, les Libyens à l'instar des autres musulmans du monde, s'apprêtent à célébrer la fête de l'Aïd al-Idha, fête du sacrifice du mouton, perpétuant ainsi la tradition du prophète Abraham, dans une ambiance moins festive que d'habitude, en raison de la cherté du prix du mouton sur le marché.

A quatre jours de l'Aïd dont la célébration est prévue jeudi prochain, les marchés de la capitale sont tristement vides d'acheteurs de moutons.

Des points de vente ont été improvisés un peu partout dans les quartiers populaires aux abords de la route et au niveau des places publiques réservées aux marchés hebdomadaires que des courtiers proposent aux rares citoyens qui viennent pour acheter un mouton.

Bien que l'Islam n'oblige pas de sacrifier un mouton si le fidèle n'en a pas les moyens, les Libyens se sentent obligés d'acquérir le mouton et certaines familles, du temps de la prospérité, payaient plusieurs bêtes à la fois.

Pour Hadj Mohamed Abdessalem, le mouton, cette année, est abondant; une abondance qui s'explique par l'importation par les autorités du pays de moutons, à l'instar de ces dernières années ou des moutons étaient amenés de l'étranger notamment d'Espagne, de la Roumanie et d'autres pays européens, pour réguler le marché et satisfaire la demande intérieure en proposant des prix abordables.

L'état de division du pays depuis plus d'une année avec deux gouvernements et deux Parlements, les uns installés à l'est du pays, bénéficiant de la reconnaissance de la communauté internationale et les autres à l'ouest notamment à Tripoli, laisse apparaître un Etat bicéphale, rendant le pays proche de la scission.

Les espoirs suscités au début de ce round qui se déroule actuellement dans la station balnéaire marocaine de Skhirat, regroupant les protagonistes, ont vite fait place au doute et à l'impasse dans les négociations.

A ce sujet, l'émissaire onusien, Bernardino Leon, avait annoncé un accord pour la 20 septembre, mais il paraît que cette date ne sera pas honorée en raison de divergences apparues entre les parties libyennes au conflit, chacune campant sur ses positions.

En outre dans l'Est du pays, une certaine rareté du mouton a été constatée. Il faut rappeler à ce sujet que le cheptel de la Libye a été décimé lors de la révolution du 17 février qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi, avec des centaines d'ovins et de caprins exterminés par certaines brigades de Kadhafi pour punir certaines tribus et villes.

Par ailleurs, les éleveurs de l'Ouest où le conflit a été plus violent ont emmené leur cheptel en Tunisie qu'ils ont vendu pour satisfaire leurs besoins matériels dans un pays soumis à l'époque à un embargo et à des sanctions économiques et financières.

Cette situation a touché le cheptel des camélidés qui est pratiquement en état d'extermination depuis la révolution en 2011, à cause du départ des bergers et des vols dont était victime le troupeau conduit vers le Soudan, le Niger et le Tchad.

Mourad Slah Fitouri, un vendeur de moutons, explique que les marchés sont désertés par les citoyens parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter un mouton.

"Comment voulez-vous qu'ils achètent un mouton alors qu'ils accumulent des retards de salaires de plusieurs mensualités?", dit M. Fitouri, très furieux, ajoutant que "le prix d'un mouton varie entre 500 et 950 dinars, ce qui représente déjà le salaire d'un mois et plus".

Il a attribué cette cherté du mouton aux coûts pour élever le bétail avec notamment la hausse du foin et des produits fourragers. "La hausse du taux de change du dollar qui atteint dans le marché noir des records a provoqué cette hausse des prix", a-t-il ajouté.

Le marché de change a connu dernièrement une hausse vertigineuse du taux de change du dollar sur le marché noir, avec des seuils du triple alors que le taux officiel s'établit à 1 dollar américain pour 1,32 dinar. Cette situation a conduit à une inflation même au niveau des autres produits alimentaires de première nécessité.

La baisse de la production pétrolière, ainsi que le recul des exportations du brut libyen, principale source de revenus du pays avec une production autour de 300.000 barils par jour contre 1,5 million en temps normal, ont fait drastiquement baisser les revenus de l'Etat avec des déficits énormes dans les budgets de l'Etat de plus de 12%.

Ce manque de liquidités a poussé les banques à limiter les transferts d'argent et à plafonner le seuil des montants de retrait au niveau des guichets.

Déconcertés par cette pénurie d'argent, nerf de la guerre, les milices et groupes armés libyens ont recouru aux enlèvements et kidnappings aussi bien des Libyens que des étrangers pour servir de monnaie de change contre des rançons qui peuvent atteindre pour les travailleurs étrangers 1.000 dinars, alors que cette somme peut grimper jusqu'à entre un demi million et 1 million de dinars pour le fils ou le membre de la famille d'un commerçant, homme d'affaires ou haut responsable libyen.

Mais cette situation ne doit pas occulter un travail humanitaire d'envergure effectué par certaines organisations humanitaires et de la Société civile locale qui ont pris l'initiative de collecter des fonds pour assurer aux familles démunies et aux familles libyennes déplacées par les affrontements, des moutons pour qu'elles puissent rendre le sourire à leurs enfants au moins le jour de la fête.

L'Aïd al-Idha n'est pas synonyme de bombance mais c'est une occasion de solidarité et d'élan de générosité entre musulmans. C'est ce qu'affirme Hamdi Saidi, chef d'une association de bienfaisance à Tripoli.

Il a souligné que son association a pu assurer à 20 familles soit des moutons directement soit des sommes d'argent leur permettant d'en acheter elles-mêmes.

D'autres organisations dans les autres villes et régions du pays se sont attelées à fournir un mouton aux familles dans le besoin.

Cette situation de privation et de précarité dans laquelle se débattent aujourd'hui la majorité des Libyens, doit interpeller les politiciens et autres protagonistes de la crise pour tenir compte des souffrances de leurs concitoyens qui aspirent à vivre en paix dans un pays vaste que la nature a gâté en ressources d'hydrocarbures pouvant suffire à assurer à chacun une vie décente.
-0- PANA BY/TBM/IBA 21sept2015