Agence Panafricaine d'information

Coronavirus : Gouvernance et élections en Afrique dans le contexte de prévalence de la pandémie, par Paul Ejime

Lagos, Nigeria (PANA) - Les élections en Afrique en temps normal représentent un énorme défi, en termes logistique, d'organisation et de participation électorale. Différentes études ont montré que les contestations politiques sont une source majeure ou un moteur de conflits, en grande partie responsables de la volatilité et l'instabilité politiques pérennes sur le continent.  

Les différents impacts sévères de la pandémie de Covid-19, sur la mortalité, les confinements prolongés et de perturbations des activités socio-économiques, conjugués aux mesures d'hygiène, notamment la distanciation physique, ne peuvent que rendre l'organisation d'élections crédibles et sures beaucoup plus difficiles, en particulier dans les pays agités.

Avant même la pandémie, on savait que les élections sont une opération coûteuse, comme l'a démontré une récente étude commandée par le Réseau des commissions électorales de la CEDEAO (ECONEC), avec le soutien de Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), et l'Agence allemande de développement  (GIZ - Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit).  

Pour des raisons évidentes, les dépenses électorales vont naturellement augmenter durant une pandémie comme la Covid-19.

Par prudence, neuf pays - le Tchad, l'Ethiopie, le Gabon, le Kenya, le Nigéria, l'Afrique du Sud, la Gambie, l'Ouganda et le Zimbabwe - ont reporté leurs élections municipales et élections partielles pour 2020 à cause de la pandémie. Au contraire, le Mali, le Bénin et le Burundi ont organisé les élections prévues sur fond de menaces sanitaires et dans certains cas, d'incertitudes politiques.  

La Guinée a tenu un référendum et des élections législatives controversées en mars, mais l'a payé cher au plan national. En effet, le président de la Commission nationale électorale, Amadou Salif Kebe et au moins deux hauts responsables du gouvernement ont succombé au coronavirus, qu'ils auraient contractés en rendant visite à des experts électoraux de la société civile.

Malheureusement, aucune organisation internationale n'a envoyé des observateurs pour surveiller les opérations de vote qui ont été boycottées par les partis d'opposition, qui ont accusé le président Alpha Condé d'utiliser le référendum pour vouloir rester au pouvoir.

L'organisation sous-régionale, la CEDEAO, avait en fait exprimé des inquiétudes concernant le manque de transparence et le non respect des principes démocratiques à la veille des élections en Guinée. En outre, le dossier santé de la Guinée n'est pas reluisant. La dernière épidémie d'Ebola né dans le pays en 2013 et jusqu'en 2016, faisant plus de 11 300 victimes, essentiellement en Afrique de l'Ouest, dont quelque 2 500 décès en Guinée. Dans ce contexte, les conséquences auraient été pires si des centaines d'observateurs internationaux s'étaient rendus dans le pays pour les élections de mars.

Mais si le scrutin guinéen est controversé, celui organisé au Burundi le 20 mai l'ont été davantage. De sérieux problèmes en termes de gouvernance et de sécurité/santé se sont posés avec l'opposition qui a accusé le gouvernement du président Pierre Nkurunziza d'autoritarisme et de paver la voie à son successeur désigné, Evariste Ndayishimiye, et de se proclamer "guide suprême".

Les observateurs régionaux étaient absents après qu'on leur a fait savoir que les étrangers arrivant dans le pays seront placés en quarantaine pour 14 jours.

Comme prévu, M. Ndayishimiye a été déclaré vainqueur de l'élection et élu président. Cependant, M. Nkurunziza, qui a été tancé pour avoir minimisé les conséquences de la Covid-19, est décédé brusquement le 8 juin. Pour mettre fin à la vacance du pouvoir, la Cour constitutionnelle a décidé que M. Ndayishimiye  prêtera serment avant le mois d'août où M. Nkurunziza devait rendre le pouvoir après 15 ans passés au pouvoir. Et le Burundi vit toujours sous tension politique.

Le Mali, pour sa part, a organisé le premier et le second tour de ses élections parlementaires en mars et avril, tandis que le Bénin a également tenu des élections locales en mai 2020, alors que le gouvernement avait annulé les meetings de campagne et limité les rassemblements de masse à 50 personnes.  

Une des précautions prises durant certaines de ces élections pour éviter la propagation de la Covid-19, était le nettoyage des bureaux de vote, mais une  caractéristique dominante de ces scrutins, est le faible taux de participation.

Donc, malgré les ravages de la pandémie de Covid-19 dans le monde, des élections nationales sont organisées, et la gouvernance politique a continué en Afrique seulement pour assurer la continuité du gouvernement et éviter l'interruption du processus démocratique. 

Par ailleurs, la Corée du Sud a donné un bon exemple en matière d'organisation d'élections sures et réussies durant une pandémie. Le pays a organisé ses élections législatives en avril sous des mesures de sécurité strictes. Les électeurs ont subi un contrôle de leur température à leur arrivée dans les centres de vote et ont porté un équipement de protection comme les masques et des gants. Ils ont été également encouragés à voter avant le Jour de l'élections en votant par mail et à domicile  et  le vote anticipé.

D'après la Commission nationale coréenne (NEC), les mesures prises ont donné lieu au taux de participation le plus élevé, 62,2% soit 29,12 millions de suffrages exprimés, depuis les premières élections législatives organisées en 1992. Le vote anticipé a représenté environ 27% selon la commission électorale. Cette dernière impute le fort taux de participation  "à la maturité des électeurs qui ont compris et suivi les nouvelles procédures".   

Cet exemple devrait réconforter les gens épris de démocratie et devrait renforcer l'engagement de ceux désireux d'innover, si on sait que nécessité est mère de l'invention.

Dans la région de la CEDEAO, les dernières élections prévues pour le reste de l'année 2020 sont les élections locales au Sénégal; les élections présidentielles en Côte d'ivoire, le 31 octobre; les élections législatives et présidentielles au Burkina Faso en novembre; les élections législatives et présidentielles au Ghana, le 7 décembre; et les élections législatives et présidentielles au Niger, le 27 décembre 2020.  

Au Nigéria, où aucune date n'a été fixée pour les élections partielles qui ont été reportées, la Commission nationale électorale indépendante (INEC) organise encore des élections "hors saison" cette année. Il s'agit, entre autres, de l'élection des gouverneurs dans l'Etat d'Edo (19 septembre) et l'Etat d'Ondo (10 octobre), mais aussi des élections législatives (Assemblée nationale et des Etats), toutes prévues dans 62 zones de gouvernement local (LGA), 9 149 bureaux de vote, avec 6,45 millions d'électeurs inscrits et quelque 62 697 agents électoraux. 

Alors que le Nigeria compte plus de 84 millions d'électeurs inscrits (plus que la population nationale de la Corée du Sud estimée à 51 millions d'habitants), les chiffres concernant ces prochaines élections semblent relativement faibles, mais il n'y a pas de "petites élections ni d'élections faciles" en Afrique, en particulier durant une pandémie et sur un continent où tout faux pas peut rapidement dégénérer en crise majeure. En outre, le Nigéria, du fait de sa position stratégique, assume le fardeau du leadership en Afrique de l'Ouest, en Afrique et à l'international.  

Conscient de ce fait, l'INEC, au terme de larges consultations avec les acteurs concernés, dont les autorités sanitaires, a dévoilé des recommandations globales dans le cadre du document intitulé 'Règles d'organisation des élections dans le contexte de la pandémie de Covid-19", qui explique très clairement que la "Commission est déterminée à organiser toutes les élections dans le  cadre juridique existant". Il couvre les éléments essentiels de l'administration électorale, y compris les questions juridiques et de santé; la formation, les TIC, l'inscription sur les listes électorales et  l'éducation des électeurs; les engagements des acteurs, les partis politiques, l'observation électorale et la sécurisation du processus électoral. L'INEC a également décidé de "mettre l'accent sur la sécurité et l'atténuation des risques sanitaires liés à la Covid-19", en soulignant que : "les citoyens doivent savoir qu'ils seront en sécurité en participant en tant qu'électeurs, candidats et officiels".

Selon le Pr Mahmood Yakubu, président de l'INEC et président honoraire de l'ECONEC, la Commission “est convaincue que les activités électorales peuvent reprendre (au Nigéria),mais dans le respect total des recommandations des autorités sanitaires". Lors d'une récente réunion virtuelle avec les Commissaires électoraux résidents, il a expliqué que l'INEC prend la pandémie au sérieux, 'la démocratie et le processus électoral ne peuvent être tronqués' ,  puisque les lignes directrices de la Commission sont alignées sur celles de la Task Force présidentielle de lutte contre la Covid-19". 

Organiser des élections crédibles durant une pandémie en Afrique exige de redoubler d'efforts en accordant une plus grande attention à la santé, la sécurité et la sûreté de toutes les personnes impliquées. Une campagne de sensibilisation/éducation agressive, des messages clairs et un engagement collectif sont également essentiels pour dissiper la peur de la pandémie.  

Les préparatifs en termes de logistique et les opérations générales doivent également être rigoureux pour prendre en compte les mesures sanitaires/d'hygiène, telles que la désinfection des bureaux de vote, le port du masque, le lavage des mains ou l'utilisation de gel hydroalcoolique et la distanciation physique. Ces mesures signifient également que plus de temps que sera nécessaire que d'habitude pour le processus.   

Sans aucun doute, ceci va augmenter les coûts électoraux et exercer plus de pression sur l'arbitre électoral et son personnel. Même dans les meilleures conditions, l'expérience a également montré que les commissions électorales seules ne peuvent organiser des élections crédibles. Le comportement et la coopération sans entraves des autres acteurs, en particulier des hommes politiques, des partis politiques et de leurs militants , des agents de sécurité et du système judiciaire sont très importants. Ce dernier devient un acteur proéminent avec la proclamation des résultats  qui ont des conséquences considérables sur l'administration électorale et les processus démocratiques en Afrique. la Côte d'Ivoire, le Kenya, le Malawi, la Guinée-Bissau et le Nigéria sont des exemples!

Comme dans les autres sphères de la vie, l'administration électorale doit nécessairement revoir à la hausse ses objectifs durant les urgences sanitaires telles que la pandémie de Covid-19 et au delà. Le temps est peut être trop court pour des  réformes électorales d'ensemble. Les acteurs politiques, en particulier les partis politiques, les gouvernements, les Organes de gestion des élections (EMB), les organisations de la société civile, la communauté et les leaders d'opinion, les médias et les électeurs eux-mêmes, doivent adopter les changements.

Le vote et la transmission électroniques des résultats, le vote anticipé, le vote par mail et l'introduction de mécanismes plus rentables  dans l'administration électorale et la sécurisation du vote ne peuvent plus rester des objectifs hors d'atteinte. Si la Corée du Sud peut organiser des élections crédibles et sures durant une pandémie, des pays africains le peuvent, également. Les infrastructures nécessaires ou le progrès technologique  peuvent ne pas être disponibles, mais les défis sont surmontables avec la volonté politique adéquate et des mesures proactives pour démontrer que les pays africains ne manifestent qu'un intérêt de pure forme à la démocratie.

Des éléments très importants du processus électoral, tels que la sensibilisation/éducation des électeurs, ne doivent pas être laissés entre les mains des EMB surchargés. Au delà des critiques contre les arbitres électoraux, les hommes politiques et les partis politiques doivent assainir leurs comportements pour limiter l'achat de vote, le trucage, les violences électorales, et l'absence de démocratie interne, qui constituent les sources majeures des crises et perturbations dans le cadre des processus électoraux.  

Egalement, le nombre de partis politiques dans beaucoup de pays africains est intenable, ainsi que les candidats qu'ils présentent pour les élections, même si ces candidats  finissent par perdre. 

Outre les préoccupations sécuritaires, il faut également rendre les élections et la gouvernance politique plus économiques, participatifs et inclusifs en Afrique. Le Sénégal a donné l'exemple en 2012 en supprimant le Sénat, la chambre haute du parlement, économisant ainsi des millions sur ses maigres ressources pour d'autres projets de développement.

Concernant les réformes destinées à améliorer l'administration des élections en Afrique, une sérieuse attention doit être portée à la réduction de la taille des parlements et des gouvernements, associée à des mesures qui tiennent compte des interventions de plus en plus importantes du système judiciaire dans le processus électoral, avec les salles d'audience qui maintenant menacent de remplacer les urnes pour déterminer la volonté de l'électorat.

Une autre préoccupation majeure concernant l'administration des élections en Afrique est la sécurité des élections concernant le comportement du personnel de sécurité durant les élections. A cette fin, et en vue des élections des gouverneurs  à Edo et Ondo au Nigeria,  le président de l'INEC, le Pr. Yakubu a plaidé en faveur d'une révision de l'architecture sécuritaire pour renforcer la confiance durant et après les périodes de pandémie. S'exprimant à la  réunion en visioconférence du 5 juin du Inter-Agency Consultative Committee on Election Security (ICCEC), il a invité les autorités à élaborer un code de conduite pour le personnel de sécurité impliqué dans les élections, en faisant manifestement référence aux expériences horribles survenues dans un passé récent dans le pays.

Dans l'ensemble, tirer des leçons du passé et adopter les meilleures pratiques proactive pour des changements positifs dans le future renferme beaucoup de sagesse. La pandémie de Covid-19 a peut-être perturbé les activités économiques et politiques dans le monde entier, mais elle a aussi créé des opportunités pour que l'Afrique innove et introduise des mesures et des instruments créatifs pour améliorer le système de gouvernance politique, organise des élections crédibles et sûres et consolide sa démocratie. 

-0- PANA PE/AR/NFB/TBM 15 juin2020