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Statu quo dans la crise politique en Libye après l'absence de progrès dans la médiation onusienne

Tripoli, Libye (PANA) - Trois mois après le report, quelque peu prévisible, des élections du 24 décembre dernier, engageant la Libye dans une nouvelle impasse du processus politique avec l'aggravation de la crise exacerbée par l'apparition de deux gouvernements rivaux, ramenant le pays à la phase antérieure de la division institutionnelle, l'attitude des parties au conflit campant sur leurs positions respectives, maintient le pays dans le statu quo bien que tout le monde est unanime sur l'unique solution pour sortir le pays du cercle de la violence incarnée par l'organisation des élections générales. 

 

La recherche d'une issue pour retrouver l'élan des élections qui ont fait l'unanimité des Libyens ainsi que des pays de la communauté internationale et sur lesquelles tous les espoirs ont été nourris pour sortir la Libye de cette crise politique endémique ayant régné durant la décennie écoulée, alimentée par la légitimité des institutions existantes, a très vite tournée court depuis que le Parlement a engagé ce pays d'Afrique du Nord dans un processus qui l'a fait entrer dans un nouveau blocage.

 

A noter que les élections du 24 décembre dernier ont été officiellement reportées sine die par la Haute Commission électorale nationale libyenne pour des considérations politiques, de sécurité et en raison des recours judicaires contre les candidats à l'élection présidentielle, qu'elle avait qualifié de "force majeure", pour justifier ce report. 

 

Mais pour de nombreux observateurs, outre, ces causes directes soulevées par la Commission électorale libyenne, certaines prédispositions ont manqué pour garantir la réussite des élections dans un pays post-conflit où les divergences sont très profondes après des guerres et des affrontements armés causant de nombreuses victimes et d'importants dégâts, ainsi que des ingérences étrangères ayant donné une dimension internationale à la crise libyenne avec une présence militaire et des mercenaires étrangers, occupant des bases militaires locales.

 

Une situation qui a laissé des ressentiments parmi les composantes sociales libyennes dont la structure tribale spécifique dispose de ses mécanismes de régulation, ce qui nécessite au préalable une réconciliation nationale dans le cadre d'une justice transitionnelle.

 

A ce sujet, peu de progrès ont été réalisés jusqu'à présent et les plaies du passé sont toujours béantes et promptes à être rouvertes pour attiser la tension dans le pays.


Ainsi, les institutions de l'Etat sont toujours divisées en particulier, l'institution militaire avec deux armées en présence celle de l'armée libyenne loyale au gouvernement d'unité nationale siégeant dans l'Ouest et l'armée nationale libyenne basée à l'Est dirigée par le maréchal Khalifa Haftar.

 

En effet, le Parlement, dans le processus qu'il a adopté à travers une transaction avec le Haut Conseil d'Etat, n'a pas tenu compte de cette réalité, replongeant dans les mêmes erreurs antérieures lorsqu'il a élaboré des lois pour les élections législatives et présidentielle unilatéralement.

 

Si cette fois-ci, il a œuvré à associer le Haut Conseil d'Etat, une instance consultative, leur collaboration a fini par se défaire sur l'épreuve du comportement de l'instance législative dont les méthodes ne font pas l'unanimité même parmi les députés avec cette manie de faire cavalier seul et de brûler les étapes.

 

Ainsi, en vertu de l'accord entre les deux Chambres, un amendement de la Déclaration constitutionnelle 12 a été adopté instituant une période de 14 mois au cours de laquelle, un comité de 24 membres à parité entre les deux institutions avec des experts juridiques doit réviser le projet de la Constitution et organiser des élections présidentielle et législatives ainsi que former un nouveau gouvernement pour lequel a été désigné comme Premier ministre, l'ancien ministre de l'Intérieur, Fathi Bachagha.

 

Ce processus notamment, la longue durée de la période portant sur 14 mois reléguant les élections à 2023 et qui est susceptible d'être prolongée, a été interprétée comme l'institution d'une nouvelle étape de transition dans le pays vu qu'il y a un nouvel exécutif.

 

Une réalité qui va l'encontre des aspirations des Libyens dont 2,8 millions se sont inscrits sur le registre électoral et plus de 2,5 millions ont retiré leurs cartes d'électeurs en prévision d'aller aux urnes pour choisir leurs dirigeants et trancher pour se débarrasser, une bonne fois pour toute, de ce boulet de la "légitimité" des institutions qu'ils ont traîné tout au long de cette décennie.

 

Le Premier ministre libyen en exercice a rejeté ce scénario du Parlement aidé en cela par les réactions populaires dans différentes villes et régions libyennes qui ont dénoncé cette nouvelle transition et ce report, de fait des élections, à travers la prolongation pour des instances actuelles qui ont largement dépassé la durée de leurs mandats.

 

M. Al-Dbaiba qui a refusé de ne passer le pouvoir qu'après l'organisation des élections et à une autorité élue, a proposé une initiative qu'il a baptisé "Rendre la confiance au peuple", consistant à organiser des élections et un référendum en juin, conformément à la feuille de route adoptée par le Forum du dialogue politique.

 

Avec deux gouvernements en Libye, la crise s'est aggravée, accentuant les divisions et la polarisation avec les risques de faire basculer le pays dans une guerre civile au regard des soutiens dont disposent les deux Premiers ministres parmi les groupes armés du pays où la prolifération des armes parmi la population en fait une poudrière.

 

C'est dans ce contexte que la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, qui a passé tous ces derniers mois à consulter tout azimut, a proposé une médiation entre le Parlement et le Haut Conseil d'Etat, axée sur la formation d'une commission mixte paritaire pour élaborer une base constitutionnelle en vue d'organiser des élections parlementaires et présidentielle le plus tôt possible.

 

Cette proposition qui a reçu un large soutien aussi bien à l'intérieur de la Libye que parmi les pays de la communauté internationale et les grandes puissances intéressées par le dossier libyen, représente, pour les analystes, une solution médiane qui est susceptible de servir de terrain d'entente pour un consensus en conciliant entre les positions des parties en conflit.

 

En effet, selon ces mêmes analystes, l'accent dans toutes les initiatives proposées, est mis sur la tenue des élections qui font l'unanimité parmi les protagonistes de la crise, d'autant plus qu'ils estiment que la responsable onusienne œuvre à l'organisation des élections avant la fin de l'année en cours pour ne pas prolonger davantage l'échéance électorale à laquelle aspirent les Libyens.

 

Toutefois, les réactions à l'égard de cette proposition ont varié d'une institution à l'autre. Alors que le Haut Conseil d'Etat a accueilli favorablement cette proposition onusienne et désigné des représentants pour siéger au sein de la commission mixte, le Parlement s'est livré à des atermoiements à travers une réponse laconique du Président du Parlement, Aguilla Saleh se barricadant dernière la souveraineté du Parlement tandis que 93 députés ont estimé qu'il s'agit d'une voie "parallèle" à ce qui a été convenu entre les deux chambres.

 

Ainsi, la Conseillère du Secrétaire général des Nations qui ne désespère pas de voir le Parlement revenir à de meilleurs sentiments et désigné ses représentants dans la commission mixte, a mené des réunions de consultations en Tunisie de mardi à jeudi dernier, avec le groupe du Haut Conseil d'Etat.

 

Ils ont conclu leur rencontre avec un soutien du corps diplomatique des pays accrédités en Libye, exhortant le Parlement à rejoindre les pourparlers en vue de l'élaboration d'une base constitutionnelle pour la tenue des élections le plus rapidement dans le pays. 

 

Cette situation place le pays à la phase du statut quo, car aucun progrès vers un règlement de la crise libyenne n'a  été réalisé, maintenant les choses à leur état initial, ce qui est de nature à pourrir la situation en l'absence de prospectives pour une issue à la crise.

 

Ainsi, toutes les parties politiques campent sur leurs positions. Le Premier ministre libyen en exercice, Abdelhamid Al-Dbaiba fait la promotion de son initiative, annonçant la formation d'un comité de personnalités de libyennes indépendantes de toutes les régions pour des consultations sur l'élaboration de lois électorales en prélude aux élections de juin.

 

Le Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha se cramponne toujours à son objectif de s'installer depuis la capitale libyenne pour entamer les activités de son gouvernement même s'il prône toujours la méthode pacifique pour parvenir à ses fins.


Il a déjà pris possession des sièges gouvernementaux à Benghazi (Est) et Sebha (800 km Sud de Tripoli) où ses deux vice-Premiers ministres ont occupé les bureaux, dans une confirmation de sa volonté d'arriver à son but.

 

La Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies, Stephanie Williams, forte des soutiens à son initiative qu'elle estime être la seule voie pour parvenir à une sortie de la crise et départager les Libyens par les urnes, s'attèlera dans les prochains jours à mobiliser davantage pour faire pression sur le Parlement afin de rejoindre les négociations sur la base constitutionnelle avec le Haut Conseil d'Etat d'autant plus que l'Egypte qui est alliée avec le président du Parlement, Aguila Saleh, a proposé d'accueillir le prochain round des réunions de la commission mixte.

 

Ainsi, pour l'analyste politique Abdelhafedh Al-Chteiwi, "il y a nécessité d'associer davantage les puissances régionales notamment la Turquie et l'Egypte qui ont des alliances au niveau locale et peuvent influer sur les décisions de certaines parties même si le processus doit rester libyo-libyen", rappelant que "la crise libyenne est complexe et possède des ramifications extérieures importantes dont il faut tenir compte dans toute équation visant à parvenir à une solution politique vu que la Russie est embourbée dans la guerre en Ukraine".

 

Il a suggéré "aux Nations unies d'explorer cette voie en recourant davantage sur l'apport des pays étrangers en particulier vu que l'ambassadeur des Etats-Unis est très engagé dans la recherche d'une solution et avec la décision du retour de l'ambassade pour entamer ses activités à partir de Tripoli, il pourra peser sur le cours des choses afin de concrétiser des progrès dans les négociations et surtout maintenir le calme dans le pays".

 

M. Al-Chteiwi a mis en garde contre "le pourrissement de la situation qui pourra réveiller les démons de la guerre et conduire le pays de nouveau au désordre et aux affrontements armés en cas de persistance des blocages pour une longue période".

 

En tous les cas, il est crucial pour les Nations unies d'obtenir une rencontre entre les représentants du Parlement et du Haut Conseil d'Etat au sein de la commission mixte au cours de la semaine à venir avant le mois de Ramadan, mois de jeûne des musulmans qui commence début avril prochain.

 

Ces rencontres pourront à défaut de parvenir rapidement à une issue permettre de calmer le jeux avec l'espoir de la reprise des pourparlers après le Ramadan pour finaliser une base constitutionnelle qui servira pour organiser des élections dans des délais acceptables et sur des lois claires assurant l'acceptation des résultats pour tout le monde même si la question de l'exécutif avec deux gouvernements demeurera un facteur de division et de blocage pouvant faire capoter tous les accords.
-0- PANA BY/IS 27mars2022