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Le départ de Stephanie Williams aggrave l'impasse du processus politique libyen

Tripoli, Libye (PANA) - L'impasse du processus politique en Libye n'a jamais été aussi profonde qu'aujourd'hui, en raison de l'absence de perspectives pour une solution, que le départ de la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies, Stephanie Williams qui chapeautait les efforts de médiation dans le pays en vue de la relance du processus électoral et maintien le respect du cessez-le feu, risque d'aggraver rendant très délétère la situation marquée par une tension entre les formations armées soutenant les deux camps des gouvernements rivaux.

 

Le départ de Mme Williams intervient à un moment critique de la phase que vit, actuellement, la Libye alors que ses bons offices entre la Chambres des représentants (Parlement) et le Haut Conseil d'Etat sur l'élaboration d'un texte constitutionnel servant de cadre juridique pour la tenue d'élections législatives et présidentielle, ont achoppé sur la question d'éligibilité des binationaux et des militaires.

 

D'ultimes efforts de médiation entre les deux Chambres devraient être déployés par la Conseillère du Secrétaire général des Nations unies pour rapprocher les points de vue entre les deux camps et leur permettre de surmonter leurs désaccords afin de permettre l'organisation d'élections générales comme solution à la crise dans le pays.

 

Mais son départ précipité à mis fin à ses tentatives qui devront être poursuivies par le Chef par intérim de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), le Zimbabwéen, Raisedon Zenenga, en attendant la nomination d'un nouvel Envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONN en Libye. Une question qui risque de tarder davantage en raison des profonds désaccords entre les membres du Conseil de sécurité sur cette question.

 

Le blocage du processus politique a accentué la tension dans le pays qui s'est manifestée par la multiplication des affrontements armés parmi les formations armées à Tripoli et dans la région Ouest du pays partisans des deux gouvernements celui d'unité nationale et celui désigné par le Parlement.

 

Des  affrontements armés entre groupes armés à Tripoli ont fait dernièrement 16 morts dont six civils et plus de 30 blessés tandis que d'autres accrochages armés près de Misrata ont fait un mort, dénotant de la fébrilité de la situation sécuritaire.

 

Une situation de nature à faire basculer le pays dans une nouvelle guerre au regard de l'absence d'un règlement pour la question de l'exécutif et de progrès au niveau de l'adoption d'un cadre juridique pour les élections ainsi que la fragilité du cessez-le-feu signé en 2020 qui pourrait voler en éclat à la moindre incartade de l'un des groupes armés, ce qui mènera inéluctablement à un embrasement généralisé.

 

Dans une déclaration à l'occasion de sa fin de mission, la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la Libye, a affirmé que la solution demeure politique.

 

"Je crois que l'impasse politique actuelle et la crise récurrente de l'exécutif ne pourront être surmontées que par l'adoption d'un cadre constitutionnel consensuel qui définit des étapes claires, établit le contrat entre gouvernants et gouvernés, et instaure des contrôles pour mettre fin à la période de transition par voie d'élections nationales. Les dirigeants libyens ont une responsabilité claire envers leurs citoyens et les générations futures de faire les compromis historiques nécessaires pour créer l'opportunité d'atteindre la réalisation souhaitée", a affirmé Mme Williams.

 

Elle a ajouté avoir cherché à toucher le plus large éventail possible d'acteurs et de représentants des secteurs politique, sécuritaire et social en Libye afin de les écouter et de comprendre leurs préoccupations et visions sur l'avenir de leur pays, leurs idées et propositions pour aider la Libye à mettre fin à la longue période de transition que traverse le pays depuis 2011. 

 

A ce sujet, le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres a exprimé sa gratitude à Mme Stephanie Williams qui vient de terminer sa mission en tant que Conseillère spéciale pour la Libye, la remerciant pour son service à l'Organisation et son dévouement dans la recherche d'une solution à la crise politique en Libye.

 

"La connaissance et l'expérience approfondies de Mme Williams en Libye et sa capacité exceptionnelle à créer des conditions favorables au dialogue et au consensus entre toutes les parties concernées ont abouti à des réalisations importantes dans les domaines du dialogue politique, sécuritaire et économique", a indiqué M. Guterres dont les propos ont été rapportés par son porte-parole, Stéphane Dujarric.

 

Le Secrétaire général a réitéré aussi "l'engagement des Nations Unies à soutenir un processus dirigé par la Libye pour relever les défis restants et veiller à ce que les élections présidentielle et législatives se tiennent dans les meilleurs délais".

 

Des tentatives de poursuivre les pourparlers entre le Parlement et le Conseil d'Etat sont menées actuellement en Turquie où le président de l'instance législative libyenne, Aguila Saleh effectue une visite depuis mardi où il a rencontré son homologue turc et le président Recep Tayyip Erdogan en compagnie du vice-président du Conseil présidentiel libyen, Abdallah Al-Lafi.

 

Il devrait être rejoint à Ankara par le président du Haut Conseil d'Etat, Khaled Al-Mechir, en vue de pourparlers pour parachever le consensus sur les points de désaccords en suspens.

 

Evoquant la rencontre avec le président Erdogan, M. Al-Lafi, a indiqué qu'avec M. Aguila, les points de vue ont convenu, lors de la réunion, "sur l'importance de préserver l'unité du territoire libyen, d'accélérer le processus électoral grâce à la législation nécessaire et convenue, de mettre l'accent sur l'exclusion d'une solution militaire et d'arrêter toutes les escalades qui entravent la construction d'un système civil et démocratique Etat".

 

Toutefois, les chances que la rencontre entre les présidents du Parlement et du Haut Conseil d'Etat aboutisse à des progrès de nature à relancer le processus électoral, sont très infimes eu égard à la rigidité des positions de chacun d'entre eux.

 

Khaled Al-Mechri est attaché au principe de l'imposition dans les critères des candidats à l'élection présidentielle, la première de l'histoire du pays, de la non double nationalité et de la non éligibilité des militaires conformément à la loi en vigueur en Libye interdisant une telle pratique, une position que certains justifient par sa farouche opposition au chef de l'armée nationale libyenne  basée à l'Est, le maréchal, Khalifa Haftar.

 

Aguila Saleh qui, tout en défendant la nécessité de ne pas imposer des critères d'exclusion de quelconque libyen des élections, en particulier, l'éligibilité des binationaux et des militaires, qu'il estime cibler exclusivement à écarter Haftar, met en priorité la question de l'exécutif avec la nécessité de permettre au gouvernement du Premier ministre , Fathi Bachagha, d'entamer ses activités à partir de la capitale Tripoli.

 

Ainsi, le président du Parlement libyen, Aguila Saleh, a affirmé son attachement à la poursuite du gouvernement mandaté par la Chambre dirigée par Fathi Bachagha, soulignant la nécessité de lui donner l'opportunité pour une période de 3 ou 4 mois au minimum afin de faire ses preuves.

 

Dans un entretien accordé à la chaîne "France 24", M. Saleh a ajouté, que le gouvernement Bachagha ne peut être tenu responsable pour quelque problème parce qu'il n'est pas entré à Tripoli et qu'il n'a pas réellement pris la responsabilité ou été testé, dénonçant les pays étrangers pour cette situation.

 

Il a ajouté que chercher à atteindre les élections résout les problèmes actuels en Libye, assurant, toutefois, qu'il doit y avoir un gouvernement unique qui organise ces élections.

 

Cette position a été corroborée par le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Youssef al-Agouri, qui a affirmé que la visite du président du Parlement, Aguila Saleh, à Ankara discutera des accords maritimes et de sécurité avec la Turquie, indiquant que le dossier de l'autorité exécutive sera discuté et l'opinion de la partie turque sera entendue sur le soutien à un gouvernement unifié qui contrôle tout le pays.

 

M. Al-Agouri a indiqué s'attendre à une rencontre entre le président du Haut Conseil d'État, organe consultatif, Khaled al-Mechri et le président du Parlement, Aguila Saleh, avec le président turc Recep Tayyip Erdogan pour discuter du dossier électoral et de la règle constitutionnelle pour la tenue des élections.

 

Il a souligné que la réunion mettra l'accent sur la profondeur des relations historiques entre les deux pays, le renforcement des partenariats économiques, la souveraineté nationale et le retrait de tous les mercenaires et forces étrangères du pays.

 

Dans le contexte du campement de chaque camp sur ses positions, l'impasse risque de perdurer encore dans le pays, prédisent les observateurs de la scène en Libye qui n'excluent pas que cette situation attise davantage la tension déjà perceptible dans le pays où l'alignement des formation et groupes armés risque de conduire à une explosion d'un nouveau cycle de violences dans ce pays d'Afrique du Nord.

 

Ainsi, une réunion entre les différents groupes armés à Tripoli et dans la région Ouest du pays qui devait se tenir pour faire le suivie  d'une première rencontre ayant regroupé les chefs des formations armées et des groupes affiliés au Premier ministre du gouvernement d'unité nationale, Abdelhamid al-Dbaiba, et d'autres soutenant le Premier ministre nommé par la Chambre des représentants, Fathi Bachagha en vue de l'apaisement de la situation pour éviter toute escalade conduisant à de nouvelles confrontations, n'a pas été tenue.

 

Au contraire, les deux camps ont tenu des rencontres distinctes à la suite de surenchères verbales survenues de part et d'autres, faisant capoter les opportunités d'un engagement plus formel des formations armées adversaires en présence en donnant le gage de s'abstenir de recourir aux armes quelque soient les circonstances.

 

Ainsi les dirigeants des formations affiliées au gouvernement d'unité nationale dirigé par Abdelhamid al-Dabaiba ont tenu une réunion, dimanche dernier, dans la capitale, Tripoli, à la suite de deux réunions distinctes de dirigeants militaires et de terrain des régions de l'Ouest et du Centre, qui soutiennent le Premier ministre désigné par le Parlement, Fathi Bachagha .

 

Une autre réunion s'est également tenue dans la ville de Zawiya, qui comprenait des chefs de groupes armés et des chefs de terrain dans les régions de l'Ouest et du Centre, en présence de dignitaires des villes de Misrata, Zaouia et Wachafana, au cours de laquelle, ils ont annoncé leur soutien au Premier ministre désigné de la Chambre des représentants, Fathi Bachagha.

 

Cette situation démontre la gravité de la phase actuelle avec une polarisation de plus n plus marquée et des postions rigides au niveau sécuritaires pouvant faire basculer le pays dans une nouvelle guerre pour le pouvoir.

 

C'est pourquoi pour désamorcer la tension entre les groupes armés le Conseil présidentiel, en sa qualité de Commandant suprême de l'armée, a décidé, mercredi, de dissoudre les 15 chambres militaires créées ces années, selon , une source militaire citée par le Portail d'information "Al-Wasat".

 

En tout cas, la conjoncture en Libye laisse présager une prolongation de l'impasse actuelle, même si des affrontements armés d'une longue durée sont à écarter dans le court terme, à moins que les blocages persistent au-delà du moyen terme ce qui pourrait exacerber la situation ouvrant le pays à des scénarios les plus pessimistes dans le contexte de la persistance des désaccords au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.
-0- PANA BY/IS 04août2022