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La crise en Libye entre espoirs d'une sortie de l'impasse et les complications imprévues

Tripoli, Libye (PANA) - Alors que les espoirs d'une sortie de l'impasse du processus politique dans laquelle s'est engouffrée la Libye ces dernières semaines avec le blocage de l'opération électorale, ont commencé à pointer à l'horizon à travers la nomination par le Parlement d'une commission devant rejoindre les pourparlers avec le Haut Conseil d'Etat dans le cadre de l'initiative de la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, pour élaborer une base constitutionnelle pour la tenue d'élections générales, l'apparition de divergences au sein de la Commission militaire conjointe 5+5 risque de compromettre de possibles progrès et mener à l'escalade.

 

A l'issue de plusieurs semaines d'atermoiements à rejoindre l'initiative de la Conseillère spéciale de l'ONU, Stephanie Williams, le Parlement à finalement daigné nommer 12 membres chargés de la révision du projet de la Constitution  dans le cadre du 12ème amendement de la Déclaration constitutionnelle adopté en coordination avec le Haut Conseil d'Etat et stipulant la création d'un comité de 24 membres à parité entre les deux Chambres.

 

La commission de 12 membres désignés par la Chambre des représentants (Parlement) a pour mission d'examiner les points de discorde du projet de la Constitution élaborée en 2017 par l'Assemblée constituante et y apporter les révisions nécessaires.

 

Selon la résolution de la Chambre des représentants, cette commission doit se conformer à ce qui est stipulé dans le douzième amendement de la Déclaration constitutionnelle, et respecter ses dispositions et les délais fixés à la commission pour terminer ses travaux, expliquant qu'elle n'est pas autorisée à organiser un engagement en dehors de son mandat spécifique. 

 

La Chambre des représentants a ajouté que la commission doit en cas de divergences en termes de forme ou d'objectif mentionné dans le douzième amendement constitutionnel, présenter ses travaux au Parlement pour y trancher.

 

Bien que des interrogations subsistent sur les véritables intentions du Parlement en raison des limitations qu'il a imposées à la commission, cette nomination équivaut à une acceptation de participer avec le Haut Conseil d'Etat à des négociations sur une base constitutionnelle  pour l'organisation des élections auxquels aspirent les Libyens pour sortir le pays de la crise de légitimité et des étapes de transition qui n'en finissent pas.

 

Après le blocage qui a suivi le report des élections du 24 décembre dernier avec l'apparition de deux gouvernements rivaux, celui du Premier ministre en exercice, Abdelhamid Al-Dbaiba et celui du Premier ministre désigné par le Parlement, la Conseillère spéciale du Secrétaire général des Nations unies, Stephanie Williams, a proposé la formation d'une commission mixte de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d'État pour convenir d'une règle constitutionnelle devant servir à la tenue des élections.

 

Mme Williams avait annoncé avoir reçu une réponse très positive du président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh qui a salué l'initiative des Nations unies, assurant que la question est maintenant de réunir les deux chambres, puis de lancer des négociations.

 

Elle a fait part de son optimisme que les conditions permettront une véritable réunion des deux Conseils.

 

Concernant les circonstances de cette initiative, la responsable onusienne a souligné que la proposition des Nations Unies ne venait pas du néant, mais qu'elle procède du douzième amendement constitutionnel, qui stipulait dans un premier temps la formation d'un comité de 24 membres, ce qui ne s'est pas produit, car il était censé être formé dans les deux semaines suivant l'approbation de l'amendement à la Chambre des représentants.

 

Elle a ajouté que par conséquent, il ne fallait pas revenir à la case départ mais de s'appuyer sur le consensus qui a été atteint au cours des mois de janvier et de février, à travers le recours à une autre clause de l'amendement constitutionnel, qui stipule spécifiquement un arrangement entre les deux conseils pour établir une base constitutionnelle pour les élections.

 

L'acceptation par le Parlement de participer aux efforts pour la tenue des élections et la désignation de membres pour rejoindre la commission mixte pour élaborer une base constitutionnelle avec le Haut Conseil, n'est pas l'effet d'un fait fortuit mais, des pressions exercées en particulier par les États-Unis très engagés pour pousser les parties libyennes à la tenue le plus tôt des élections comme solution à la crise.  

 

C'est ainsi que l'envoyé spécial et ambassadeur des États-Unis, Richard Norland, a exhorté la présidence de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, à continuer de fournir tout le soutien nécessaire pour établir une base constitutionnelle et légale pour l'organisation d'élections dès que possible en conjonction avec le processus facilité par l'ONU.

 

M. Norland a affirmé au cours d'un entretien téléphonique avec M. Saleh, consacré à la situation politique actuelle et des perspectives de relance de l'élan vers les élections, qu'il travaillait avec des acteurs clés de tous les côtés pour maintenir la stabilité, en commençant par des efforts pour s'assurer que les vastes richesses pétrolières de la Libye ne sont pas utilisées à des fins politiques partisanes, mais plutôt pour répondre aux besoins les plus importants du peuple.

 

Des informations ont fait état d'une rencontre que l'Égypte accueillera lundi prochain relative à la première réunion de la commission mixte de la Chambre des représentants et du Haut Conseil de l'État pour parvenir à un accord sur les élections en Libye.

 

A noter que, lors des réunions consultatives fin mars en Tunisie entre Mme Williams et les membres de la commission mixte désignés par le Haut Conseil de l'État, l'ambassadeur d'Égypte qui a assisté à la session de clôture de ces consultations avec les diplomates accrédités en Libye, avait proposé que son pays accueille la prochaine rencontre de la commission pour l'élaboration d'une base constitutionnelle.

 

Ces développements dénotent, selon des observateurs de la scène libyenne, d'une réelle décrispation au niveau du processus destiné à l'organisation des élections en Libye sur une base constitutionnelle consensuelle entre le Parlement et le Haut Conseil.

 

Le fait que l'impasse ait pu être surmontée et sans anticiper sur les résultats des pourparlers à venir, cela représente, selon ces mêmes observateurs, des progrès et ouvre la voie à la possibilité de parvenir à une issue à l'approche du mois de juin date butoir de validité de la feuille de route élaborée par le Forum du dialogue politique libyen.

 

Mais ce déblocage au niveau du processus politique risque d'être terni par la sortie médiatique des représentants au sein de la Commission militaire conjointe 5+5 de l'armée nationale libyenne basée à l'Est dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, qui ont annoncé, samedi soir, la suspension de leurs travaux au sein de la Commission jusqu'à la satisfaction de leurs demandes.

 

Ils ont critiqué le gouvernement d'unité nationale dirigé par le Premier ministre, Abdelhamid Al-Dbaiba qu'ils accusent d'avoir pris un certain nombre de mesures qui ont empêché la réalisation des termes de l'accord de cessez-le-feu signé en octobre à partir de l'année 2020.

 

En octobre 2020, la Commission militaire conjointe 5+5, composée à parité de 10 officiers supérieurs représentant l'armée libyenne loyale au gouvernement d'unité nationale siégeant à Tripoli, et ceux désignés par l'armée nationale libyenne relevant de Haftar, a signé en octobre 2020 l'accord de cessez-le-feu ayant permis la relance du processus politique, ainsi que la reprise des vols aériens et l'ouverture des routes entre l'Est et l'Ouest du pays et les échanges de prisonniers et de dépouilles des morts entre les deux camps.


Les représentants du commandement général de l'armée dirigée par Haftar ont déclaré, samedi, qu'ils ont cherché activement à respecter le reste les termes de l'accord de cessez-le-feu en expulsant les forces étrangères, les mercenaires et les combattants étrangers et en dissolvant les formations et groupes armés qui entravent le travail des institutions de l'État, estimant que, malheureusement, qu'ils ont été surpris par les mesures prises par le Premier ministre, Abdelhamid Al-Dbaiba, qui ont entravé les travaux de la commission et ont constitué un grave danger pour la sécurité nationale du pays.

 

Début octobre 2021, les membres de la Commission mixte conjointe 5+5 ont adopté un plan d'action pour le départ simultanée, séquencé et progressif des mercenaires, combattants et forces étrangères de l'ensemble du territoire libyen. Des divergences entre les membres de la commission et l'attitude des pays ayant une présence armée en Libye, empêchent jusqu'à présent la mise en œuvre de ce plan. 

 

Ils ont demandé au Commandant en chef des Forces armées d'arrêter l'exportation de pétrole, de fermer la route côtière reliant l'Est et l'Ouest, d'arrêter tous les aspects de coopération avec le gouvernement d'unité nationale et ses composantes, et de cesser d'opérer des vols entre l'Est et l'Ouest.

 

Les représentants des forces du Commandement général au sein de la Commission militaire conjointe 5+5 ont réclamé que le gouvernement actuelle respecte les décisions du Parlement et procède à la passation de service au gouvernement de la stabilité dirigé par le Premier ministre, Fathi Bachagha.

 

Ces nouveaux développements sont de nature à compromettre le fragile cessez-le feu qui a pu se maintenir depuis juin 2020 jusqu'à présent, permettant à la Libye de retrouver un semblant d'accalmie et de stabilité après une décennie d'affrontements armés tout en favorisant la promotion du processus politique.

 

Au delà des causes apparentes qui, selon des sources du camp de l'Est, sont liées au non versement des salaires de certains membres de l'armée fidèle à Haftar par le gouvernement d'unité nationale qui évoque l'absence de numéros d'immatriculation nationale pour ces soldats, il est clair que des considérations d'ordre politique, en particulier, la polarisation et l'alignement sur un camp politique sont à l'origine de cette décision.

 

En réaction, le gouvernement du gouvernement du Premier ministre désigné par la Chambre des représentants, Fathi Bachagha, a appelé à "la nécessité de faire preuve de retenue et de ne pas se laisser entraîner dans l'escalade politique et militaire délibérée du gouvernement sortant", accusant le gouvernement d'unité nationale dirigé par Abdelhamid Al-Dbaiba de "chercher honteusement à approfondir la division et à arrêter la production de pétrole, à couper les routes et les transports terrestres et aériens entre l'Est, l'Ouest et le Sud".

 

Cette sortie médiatique des partisans de Haftar au sein de la Commission militaire conjointe pourrait n'être, selon des analystes, qu'une manière de faire pression en agitant la menace du blocus des sites pétroliers de production et d'exportation afin d'obtenir gain de cause pour le versement de salaires et le financement pour l'armée nationale libyenne installée à l'Est.

 

En effet, une telle mesure impopulaire, sera rejetée massivement  par les Libyens qui tirent leur pain quotidien du pétrole et verra l'apposition de la communauté internationale qui dénonce toute action de nature à perturber la production pétrolière notamment dans cette période marquée par la guerre en Ukraine où le marché mondial est très volatile et où de nombreux pays occidentaux et européens comptent sur le pétrole et le gaz libyens comme alternatifs à l'approvisionnement énergétique à partir de la Russie.
-0- PANA BY/IS 10avr2022